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Bois : seule la destruction est durable / Texte extrait du magazine Silence, n° 270, mai 2001

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Bois :
seule la destruction est durable

 

Texte extrait du mensuel Silence, n° 270, mai 2001, p. 16 . Il peut être librement reproduit sous réserve d'en mentionner la source.



Certaines municipalités continuent à acheter des bois "exotiques" moins chers que le bois local. Pourtant, sur place, malgré les belles déclarations, aucune forêt n'est exploitée de manière durable.

Comme beaucoup d'autres matières premières, l'exploitation du bois en Afrique est contrôlée presque entièrement par des sociétés européennes, libanaises et asiatiques. Après avoir épuisé la forêt ivoirienne, réduite de 90 % en trente ans, elle se déploie aujourd'hui dans tout le bassin du Congo, à plus de mille kilomètres des côtes. Les forêts littorales sont depuis longtemps ravagées, la tendance est maintenant à la jonction des concessions de part et d'autre des frontières. En 2000, le Cameroun et le Congo-Brazzaville ont attribué près de quatre millions d'hectares de titres forestiers. L'ouverture de routes transfrontalières RCA/Cameroun, Gabon/Guinée Equatoriale/Cameroun, financées par l'Union européenne et l'Agence française de développement, permettront aux flux de grumes [troncs d'arbres] de rejoindre plus vite les ports. La mobilisation des ressources forestières et l'industrialisation de la filière bois sont encouragées par la Banque mondiale et le FMI. Mais les fraudes se multiplient à mesure que la concurrence augmente, avec l'arrivée des forestiers malaysiens ou chinois, et que les ressources s'épuisent. Beaucoup de forêts attribuées récemment avaient déjà été exploitées, à l'est du Cameroun, au nord du Congo, souvent illégalement. Les dépassements de surfaces de coupe parfois sur des dizaines de kilomètres carrés, l'abattage d'arbres trop jeunes - en sous diamètre -, l'évasion fiscale sont pratiqués par beaucoup d'exploitants. 
Le 28 décembre 2000 le Cameroon Tribune, quotidien du parti au pouvoir à Yaoundé, annonçait la condamnation de quatre compagnies forestières à des amendes allant de 100 000 F à plus d' 1 000 000 F pour infractions graves aux règles d'exploitation. L'une était libanaise - Hazim -, les trois autres françaises : RC Coron, exploitant historique des forêts camerounaises, installé dans le pays sous l'administration coloniale, SIM et CAMBOIS, filiales du tentaculaire groupe Rougier opérant au Gabon, au Congo-Brazzaville, en Guinée Equatoriale, au Cameroun. 
La    "Camerounaise des Bois" - CAMBOIS - a été contrôlée le 29 mars 2000 bien au-delà de ses limites de coupe. La mission d'enquête du ministère de l'environnement et des Forêts, ayant saisi 528 rn3 de grumes, constatait que 1490 m3 avaient déja été évacués. Au total plus de 150 arbres abattus illégalement, des essences surexploitées, "précieuses" et "exotiques" sur les marchés occidentaux, aux vertus curatives, à la présence respectée, aux fruits délectables pour les peuples de la forêt. Des irokos (Chlorophora excelsa) dont l'écorce soigne la toux, des moabis (Baillonela toxisperrna) nécessaires à des familles entières pour l'huile de cuisson extraite de leurs amandes, des bubingas (Guibourtia demeusei) prisés des essaims d'abeilles, précieux pour la collecte du miel. Ici des escaliers, des meubles de jardin ou des planchers flatteurs, moins chers qu'en châtaignier, en mélèze ou en chêne. Là-bas, au village, quelques milliers de francs, des plaques de tôle et de l'alcool, ou un terrain de football, ou un dispensaire sans médicaments, quelques emplois, 
pour une forêt dévastée. 
billes de bois sur un port tropical
Billes de bois tropical sur un port camerounais

Les compagnies forestières ciblent intensivement une vingtaine d'essences depuis le début du XXe siècle. Les forêts primaires d'Afrique recèlent des centaines d'espèces d'arbres. Les essences recherchées sont très dispersées, en moyenne une ou deux tiges à l'hectare. Les exploitants ouvrent des centaines de kilomètres de routes et de layons dans chaque concession pour extraire de la forêt des volumes industriels de bois, facilitant l'accès aux braconniers, ou les encourageant même à ravitailler en viande de brousse les ouvriers de leurs chantiers. La faune est décimée à l'arme automatique, piégée par des kilomètres de câbles d'acier souples et économiques, dépecée pour la viande, pour l'ivoire, les fourrures, ou exportée vivante comme ces perroquets "gris du Gabon" qu'on aime emprisonner solitaires en France, capturés au filet par bandes entières, dispersés loin de leur congénères et de leur clairières africaines. 
Les arbres abattus au prix de saccages garnissent abondamment les parcs à bois des ports de Nantes, La Rochelle, Caen ou Sète. Mais du moindre revendeur de planches ou de moulures jusqu'aux industriels des portes, des fenêtres ou des bancs publics, tous sont prêts à assurer que leur bois provient d'exploitations bien gérées, voire "durables". Leur cynisme est sans limite, comme un titre forestier pour Rougier. 
 

Jean-Pierre Edin

Robin des Bois 
 

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