mabun espace d'expression
mensuel
AccueilExpressionsRéactionsRessourcesSites webArchivesBoite aux lettres

 
Les archives

 
Les poèmes

Les bouquins

Les réactions

Les ressources


 
 
 
 
 
 

 

archives > ressources

 
 

Retraites

Un catastrophisme irresponsable

 
 

Article extrait du magazine Silence, n° 254, février 2000. Il peut être librement reproduit sous réserve d'en mentionner la source.

Le débat sur les retraites ne relève pas du domaine de l'économique mais de celui de la solidarité.
 

D'après rapports officiels et campagnes alarmistes, le vieillissement de la population en France remettrait en question  l'actuel système de retraite par répartition. Celui-ci devrait être complété -avant d'être remplacé ?- par un système individualisé de capitalisation. Les arguments avancés relèvent pourtant une approche simpliste ou, pire, malhonnête.
Certes la France vieillit : l'espérance de vie s'allonge ; les générations du baby boom arrivent à l'âge de la retraite ; la fécondité baisse. La part des plus de 60 ans dans la population totale devrait passer de 20 % en 1995 à 33 % en 2040. Pour éviter une baisse inexorable des pensions de retraite, ou une hausse insupportable des cotisations pour les salariés, il est incontournable d'allonger la durée de cotisations, de reculer l'âge de départ à la retraite ou  encore de mettre en place des systèmes de fonds de pensions. Voilà la musique assourdissante qui domine depuis plusieurs mois le débat sur la retraite. Dans un rapport remis au printemps au Premier Ministre, Jean-Michel Charpin, Commissaire au Plan, propose d'augmenter le nombre d'annuités nécessaires pour pouvoir prendre une retraite à taux plein, à 42,5 ans (contre 40 pour les salariés du privé, 37,5 pour les fonctionnaires).
Remarquons d'abord que prolonger la durée de vie active aurait deux conséquences fortement négatives. D'abord cela freinerait l'embauche de jeunes, qui pourtant en ont bien besoin. Ensuite, le montant des pensions baisserait, puisqu'il sera de plus en plus difficile d'atteindre le nombre d'annuités nécessaires. En effet, l'acquisition d'un emploi se fait de plus en plus tard (prolongation des études, chômage...). Et aujourd'hui, un tiers seulement des personnes qui font valoir leurs droits à la retraite ont encore un emploi ! Le niveau de vie relatif des retraités serait ainsi abaissé de 30% environ par rapport à celui des actifs (1). La situation  des retraités redeviendrait comparable à celle observée au début des années 60.
Autre incohérence : pourquoi vouloir réduire le temps de travail à 35 heures si de l'autre côté on prolonge la durée de vie professionnelle ?
L'augmentation de la durée de coitisation ne pourrait qu'inciter ceux qui en auront les possibilités financières à se tourner vers la capitalisation pour y rechercher un complément à leur retraite.

Jouer sa retraite en Bourse ?



Aujourd'hui, des inégalités importantes existent en termes d'âge et de niveau de retraite (800 000 personnes n'ont que le minimum vieillesse pour vivre, soit 3500 francs par mois), mais aussi d'espérance de vie (un manoeuvre vit moins longtemps qu'un cadre). Avec la capitalisation, ces injustices seront aggravées, car seuls ceux qui disposeront de revenus suffisants pourront accéder à un complément de retraite.
Mais c'est toute l'argumentation des partisans de la capitalisation qui prête à objection. Primo, ils prétendent que les fonds de pension français (appelés "épargne-retraite" dans les milieux gouvernementaux), en drainant l'épargne des Français - 700 milliards de francs par an- vers les entreprises françaises, les rendraient moins dépendantes des fonds de pension anglo-saxon. Soulignons d'abord que l'investissement des entreprises n'est pas limité par un défaut d'épargne : l'autofinancement avoisine les 120 %, ce qui veut dire que les entreprises pourraient augmenter de 20 % leurs investissements sur leurs ressources internes. De plus, ne soyons pas naïfs : l'appartenance nationale des fonds de pension n'influe guère sur leur stratégie, tous répartissant les risques entre les différentes régions du monde pour ne pas "mettre tous leurs oeufs dans le même panier". D'ailleurs, les fonds de pension sont l'une des causes principales de l'instabilité financière mondiale, qui explique le freinage de la production, de la croissance et de la consommation. Créer en France des fonds de pension ne ferait qu'ajouter des éléments d'instabilité.
Plus préoccupant pour les salariés, la capitalisation n'est pas la solution miracle pour financer la retraite. D'abord, les fonds de pension sont risqués. Le principal problème que rencontre toute valorisation d'un capital tient à la volatilité des marchés. Dépression  de longue durée des marchés des actions, faillites bancaires en série, krachs de pays trop endettés ; toutes sortes de catastrophes peuvent handicaper le paiement des retraites capitalisées. Et si le régime institué à la Libération est par répartition, c'est qu'il succédait à une faillite des fonds de pension juste avant-guerre.
Sans oublier que le magot de la capitalisation en fait une tentation pour ceux qui en ont la garde. Exemple parmi d'autres, feu Robert Maxwell, magnat de la presse britannique, avait allégrement pioché dans l'épargne retraite de ses salariés pour financer ses déficits et masquer ses opérations frauduleuses.
Surtout, les fonds de pension provoqueraient une baisse  du montant des retraites. Car dès lors qu'ils se généraliseraient, le taux de rendement financier ne serait plus particulièrement attractif. Les fonds de pension américains, souvent montrés en exemple, n'ont pourtant obtenu entre 1968 et 1983 qu'une rentabilité de 0.3 % par an une fois déduits les frais de gestion, la fiscalité et l'inflation... Moins que les rendements de la Caisse d'Epargne !
Les experts estiment aussi que les gains futurs procurés par les fonds de pension seront plus faibles que par le passé : quand, à partir du milieu de la prochaine décennie, les personnes âgées seront plus nombreuses que les jeunes, il y'aura plus de vendeurs de produits financiers que d'acheteurs. Les prix baisseront. Et les retraites avec...
 


Une machine de guerre contre les salariés



Qui ne se doute que si des fonds de pension d'entreprise se généralisent, les employeurs seront tentés de rémunérer leurs salariés en leur versant de l'"épargne-retraite" plutôt que du salaire ?
Mais l'arme fatale contre les salariés est autre. Pour augmenter leur revenu, les retraités exigeront des entreprises une rentabilité élevée. Elles comprimeront leurs coûts par des gels de salaires ou des suppressions d'effectifs. On constate déjà qu'en France le poids sur le marché des actions des fonds de pension américains ou anglais a contraint les entreprises à licencier pour accroître leur rentabilité. Paradoxe : les salariés, victimes de l'insécurité croissante du capitalisme financier, seront en même temps des rentiers, propriétaires de portefeuilles des fonds de pension !
 
 

Répartition / capitalisation

Dans les systèmes de répartition, comme celui actuellement en vigueur en France, les retraites versées aux inactifs sont payées immédiatement par les cotisations obligatoires des actifs. On ne finance pas sa propre retraite mais celle des autres. Mais en cotisant, chaun acquiert des droits pour son avenir. Le système par répartition est donc une contrat établi entre les générations.
A contrario, la capitalisation représente la constitution d'une épargne pour ses vieux jours, qui peut se concevoir dans un cadre individuel (assurance-vie, plan épargne retraite...) ou dans un cadre collectif au niveau d'une entreprise, d'une branche d'activité. L'épargne, constituée par les salariés et complétée par l'employeur, est placée dans un fonds chargé de faire fructifier les sommes accumulées en vue de verser à terme une retraite (sous forme de capital ou de rente) correspondant au capital épargné et aux intérêts produits.

 


Charpin : des hypothèses invraisemblables



Selon que la croissance sera forte ou faible, dans les années à venir, les problèmes de financement des retraites se posent dans des termes totalement différents. Or, le rapport Charpin retient un taux de croissance annuelle de 1.7 % durant les 40 années à venir, soit "moins bien que pendant les 20 dernières années qui pourtant n'ont pas été glorieuses" (2). Autre épouvantail, il indique aussi que les dépenses de retraite vont tripler dans les quarante prochaines années. Sans rappeler qu'elles ont décuplé au cours des quarante dernières années !
La part des pensions dans le Produit Intérieur Brut (PIB) devrait passer de 11.6 % aujourd'hui à 16.6 % en 2040 (3). Comment pourrait-on se dispenser d'une telle progression si, dans le même temps, la part des plus de 60 ans dans la population augmente de 20.6 % à 33.2 % ?
 


Pertinence de la répartition



La proportion d'inactifs, si elle est correctement appréciée, ne justifie en rien la dramatisation officielle. En effet, la hausse des cotisations, qui serait nécessaire pour financer les retraites, sera compensée par la baisse des dépenses publiques et privées qui se dirigent vers les enfants et les chômeurs.
Les experts "officiels" mettent en rapport la population âgée à la population d'âge actif. C'est oublier d'une part que les actifs financent non seulement les besoins des personnes âgées mais aussi ceux des jeunes, et d'autre part qu'une partie de la population active est au chômage. Donc la meilleure mesure de la charge économique qui pèsera sur les actifs de demain consiste à rapporter la population sans emploi à la population active occupée. Or, même si l'on admet l'hypothèse Charpin d'un chômage à 9 % en 2040, le ratio 60 ans et plus / 20-59 ans s'accroîtra de 88.6 % entre 1995 et 2040, tandis que le ratio inoccupés/ occupés n'augmenterait que de 10.5 %. Il n'y aurait donc pas d'aggravation catastrophique de la charge pesant sur les actifs occupés (4).
L'équilibre du système par répartition dépend aussi du  niveau de la masse salariale, puisque les cotisations sont prélevées sur les salaires. Si la part des salaires dans la valeur ajoutée des entreprises (la richesse produite) n'avait pas baissé de 69 à 60 % entre 1982 et 1996, la masse salariale, et donc les retraites, seraient aujourd'hui supérieures de 15 % à ce qu'elle est, et l'on aurait pu se dispenser d'une partie des hausses de cotisation qui ont eu lieu. Le fait que les cotisations soient calculées sur les salaires pousse aussi les entreprises à réduire les rémunérations ou le nombre de postes de travail. Prélever une partie des cotisations sur la richesse effectivement créée, incluant les profits financiers, permettrait de cesser de pénaliser les entreprises créatrices d'emplois et / ou qui mènent une politique salariale plus sociale.
 


Les retraites dépendent de l'emploi

Mais le moyen principal d'augmenter la masse salariale, et donc de résoudre une grande partie des difficultés actuelles et futures du système de retraite, c'est de réduire le chômage. Si toute la population active prévue pour les décennies à venir était occupée, nous retomberions sur des ratios inactifs/actifs inférieurs à ce que l'on a connu dans le passé. Même si l'on admet des taux de chômage de 7 % en 2005, 5 % en 2010 et 4.5 % en 2040 (scénario prévu dans le rapport Briet de 1995), les ratios inactifs/actifs seraient inférieurs ou égaux à celui de 1993. Ce qui a été supporté en 1993 devrait pouvoir l'être dans le futur si le chômage est combattu efficacement (5).
Comment  comprendre que parmi ces hypothèses, le rapport Charpin retient pour 2040 un taux de chômage d'"équilibre" de 9 %, fondé, sans aucune démonstration scientifique, sur l'idée qu'une partie considérable de notre population serait "inemployable" et destinée à le demeurer pendant les quarante prochaines années ? Au moment où l'on nous parle de formation continue, ces modèles sont révélateurs de l'état d'esprit des "experts" gouvernementaux. Cela n'empêche pas le rapport de maintenir l'affirmation selon laquelle, en 2010-2020, "la France manquera probablement de personnes en âge de travailler" ce qui justifie le recul de l'âge de la retraite !
Au contraire, une répartition de la richesse produite entre capital et travail plus équitable qu'au cours des 20 dernières années pourrait permettre de réduire le chômage, notamment par une vraie réduction du temps de travail et l'alignement de la durée de cotisation des salariés du privé au niveau de celle des fonctionnaires.
L'avenir des retraites renvoie donc beaucoup plus à des orientations économiques et sociales qu'à l'évolution de la pyramide des âges. Last but not least, le système par répartition valorise la possibilité d'exercice de la démocratie. Dans ce régime, ce n'est pas l'état des marchés financiers qui détermine le montant des retraites, c'est la société qui décide politiquement quelle est la part de la richesse produite qui doit aller aux personnes âgées.
Il est donc nécessaire et légitime de modifier nos systèmes de retraite, mais rien n'oblige à envisager ces transformations sur un modèle régressif. Le choix n'est pas entre un système par répartition et un système par capitalisation. Le choix est entre une société ultra-capitaliste où seul compte le fric et une société solidaire où jeunes et moins jeunes, riches et moins riches, peuvent vivre correctement...

Eric MARQUIS
 

A Lire :

Les retraites au péril du libéralisme, Pierre Khalfa et Pierre-Yves Chanu (coord.), Ed. Syllepse, 182 p., 50 F
La comédie des fonds de pension, Jacques Nikonoff, Ed. Arléa, 1999, 262 p., 135 F
 

Notes :

1- Pierre Concialdi, chercheur à l'IRES, L'Economie politique, 3e trim. 1999
2- L'Unité, organe du Syndicat national unifié des impôts (SNUI), 18 mai 1999
3- note de la rédaction : l'Institut National d'Etudes Démographiques ne fait aucune projection au-delà de 2016 estimant qu'ensuite les données sont trop floues.
4- Retraites, l'autre diagnostic, Notes de la Fondation Copernic, n°1, juin 1999 (BP 32, 75921 Paris cédex 19, tel. 01 43 15 06 30
5- Retraites, l'autre diagnostic.

 

Copyright © 2000 OS - Tous droits réservés sauf indications contraires