La loi interdit les décharges, les
incinérateurs libèrent des produits très toxiques...
Allons-nous nous laisser ensevelir sous nos déchets ? Des solutions
existent pourtant, mais encore faudrait-il vouloir les mettre en place.
En 1989, sur 17 millions de tonnes de déchets ménagers
produits en France, 43 % allaient en décharge officielle, 37 % en
incinération, 9 % en compostage et le reste disparaissait (10 %)
en décharge sauvage. Dix ans plus tard, le poids est passé
à 23 millions de tonnes dont 46 % vont en décharge contrôlée,
45 % en incinération, 8 % en compostage et 1% en tri-recyclage.
Si les décharges sauvages sont aujourd'hui contrôlées
et si le tri fait une timide apparition, la situation n'a pas vraiment
évolué positivement, les alternatives se sont peu développées,
et la quantité de déchets continue à augmenter d'environ
2 % par an.
Une première mesure prise en 1992 par le ministère de
l'Environnement prévoyait la fermeture de toutes les décharges
pour 2002. Il est évident que cette loi ne sera pas applicable à
cette date là. Cette loi a favorisé les grands groupes financiers,
Suez-Lyonnaise des Eaux, Vivendi et Saur-Bouyghes qui ont beaucoup fait
pour vendre leurs incinérateurs. Le développement de ces
incinérateurs qui, pour ne pas atteindre des coûts de fonctionnement
trop élevés doivent fonctionner à plein rendements,
a poussé les municipalités à oublier les autres possibilités
de traitement des ordures ménagères, en particulier le tri
qui, à l'exception du département du Nord, avec Triselec
à Dunkerque, reste marginal.
Les premières initiatives malheureuses dans le domaine du compostage
ont également freiné le développement de cette méthode.
Au départ, les compostages ont porté sur le tout-venant,
provoquant la mise en compost de morceaux de plastiques, de reste de piles
(fortement contaminant en métaux lourds)... qui lors de leur utilisation
agricole, ont provoqué une pollution des sols parfois difficilement
corrigible. Aujourd'hui, les nouvelles méthodes de compostage se
font soit sur des déchets verts produits séparament (élagages
municipaux, tonte des pelouses...) soit après la mise en place d'une
collecte sélective qui n'accepte que les restes des repas.
La fausse piste de l'incinération
Malgré les promesses d'une "valorisation énergétique"
des déchets par l'incinération, cette solution a vite montré
ses limites. Il a toutefois fallu attendre, début 1998, la publication
par le CNIID de chiffres affolants de pollution dans le lait maternel,
dans le lait des vaches et dans la viande pour que les autorités
et le grand public comprennent enfin que l'incinération n'est pas
une solution.
L'incinération, comme nous l'avait déjà appris
Lavoisier, ne supprime pas les déchets : il les transforme. Les
avantages de l'incinérateur sont limités : outre l'énergie
récupérable, on a une baisse du volume des déchets
par la combustion. Mais les inconvénients sont, eux, redoutables.
Le plus connu est le problème des dioxines. Du fait de la présence
de plastiques dans les déchets ménagers (introduisant des
molécules chlorées), lorsque l'on chauffe les déchets
- actuellement autour de 500°C (1) - il se forme des molécules
de dioxines qui sont, heureusement, en grande partie piégées
dans les cheminées avant évacuation des fumées. Mais
une étude de l'ADEME montre que l'on a à l'arrivée
2,5 fois plus de dioxines à la sortie de l'incinérateur qu'à
l'entrée. Et cette dioxine n'est pas seulement présente dans
les fumées. La plupart des incinérateurs utilisent de l'eau
dans le processus d'incinération (jusqu'à 5000 litres par
heure dans un incinérateur ayant une capacité de 100 000
tonnes de déchets par an). Or dans les eaux de rejets d'un incinérateur
aux normes pour les fumées, on trouve jusqu'à 16 fois plus
de dioxine dans l'eau et bien plus encore dans les mâchefers (résidus
solides) et les filtres qui terminent en décharge sous haute surveillance
(dit de classe 1).
Le parallèle avec le retraitement des déchets nucléaires
est frappant : comme pour la radioactivité, on ne la réduit
pas, on la disperse !
D'autres produits posent problème : l'utilisation des mâchefers
pour des infrastructures routières a déjà été
remis en cause du fait de la présence de métaux lourds (plomb,
cadmium, mercure...) qui risquent de polluer les nappes phréatiques.
L'incinérateur avait l'avantage de concentrer les ordures sur
une faible surface en amont d'où son fort développement dans
les zones urbanisées. Mais en aval, les mâchefers occupent
encore 30 % du volume initial, les voisins de l'usine auront respiré
de la dioxine et les poissons des cours d'eau stockeront dioxines et métaux
lourds dans leurs graisses.
Les possibilités du recyclage
De la même manière que les alternatives au nucléaire
ont deux volets : la diminution de la consommation d'énergie et
la production à base d'énergies renouvelables, les solutions
à la question des déchets passent par la réduction
des déchets à la source et par la mise en place de filières
de recyclage efficaces.
Pour déterminer ce qui est le plus important à réduire
à la source, il faut spécifier ce qui est recyclable. Les
élements les plus faciles à récupérer, et qui
le sont souvent déjà en partie, sont le verre, les métaux
et le papier/carton. Concernant le verre, le recyclage est quasi-parfait
: avec une bouteille de verre, on peut refrabriquer une bouteille de verre.
Il en est de même pour les métaux lorsqu'il ne s'agit pas
d'alliages trop complexes : une boîte d'aluminium peut redonner une
boîte d'aluminium. Pour le papier, c'et déjà un peu
moins bon, car il y'a une usure des fibres : un papier de première
qualité va donner un papier un peu moins bon... et au bout de huit
à dix recyclages, un papier ne se "tient plus". On peut alors restaurer
la qualité du papier en introduisant un pourcentage de "fibres neuves"
(produit avec du bois, lequel est , dans une certaine limite, une ressource
renouvelable).
Concernant les textiles, le recyclage est déjà moins
bon. Il y'a une dégradation des tissus passant à l'état
de serviettes, de torchons... pour finir en serpillières ou en rembourrages.
Quand on arrive au niveau des plastiques, le recyclage devient très
mauvais : dès qu'on chauffe un plastique pour le reformer à
un autre usage, il perd une partie de ses qualités. Même si
certains plastiques sont aujourd'hui presque stables, ils ne sont guère
utilisés dans les usages ménagers courants (les plastiques
qui résistent à la cuisson sont assez stables, alors que
les bouteilles ou les sacs sont très instables). On devrait donc
réserver les textiles et les plastiques à des usages longs.
Si c'est le cas des textiles (vêtements), ce n'est pas le cas des
plastiques dont la durée de vie est souvent de quelques minutes
(cas des sacs plastiques directement du magasin à notre poubelle).
D'autres déchets sont compostables. Ce sont les épluchures
de légumes et de fruits, les restes de plats, les déchets
de jardin, etc. Si vous avez un jardin, vous pouvez facilement apprendre
à les composter vous-même. En appartement, il existe des composteurs
de petite taille, qui peuvent ensuite servir à alimenter en compost
des pots de fleurs (2). Une collecte sélective peut aussi permettre
de les composter à grande échelle. Il existe aujourd'hui
des processus de taille industrielle qui donnent de bons résultats
(et sans odeurs pour les voisins). L'agriculture intensive a fait fortement
diminuer la masse organique de nos sols. Ceci oblige les paysans à
compenser par des engrais. Le compost permet de diminuer voire de supprimer
les engrais. De plus, la matière organique fixe l'eau et permet
de diminuer l'irrigation. L'usage du compost ainsi récupéré
en milieur agricole est une richesse énorme que l'on est loin d'avoir
valorisée à son juste niveau (3).
Si nous ne changeons rien à nos comportements, la collecte sélective
des produits ci-dessus permet de vider une bonne partie de notre poubelle.
Une collecte avec trois poubelles (recyclables, compostables, autres) est
déjà une formule appréciable et relativement facile
à mettre en place. Une autre solution, de plus en plus développée
en Allemagne et en Suisse, consiste à demander aux gens de trier
leur poubelle "recyclable" en amenant le tout dans un conteneur à
entrées multiples (4). Un conteneur de ce genre permet en un seul
voyage de tout ramener à un centre de recyclage. C'est une méthode
bien plus économe en énergie que les acuelles déchetteries
qui se sont développées en ville et qui obligent chacun à
faire un long trajet (le plus souvent en voiture) et donc limitent le niveau
de la collecte.
Belgique : une commune done l'exemple
La commune d'Oupeye, en Basse-Meuse liégeoise, a lancé
depuis le printemps 1997, tout un ensemble d'initiatives visant à
réduire les déchets à la source. Dans un premier temps,
la commune incita les habitants, dont 80 % ont un jardin, à se lancer
dans le compost. Elle assura la formation de 20 volontaires pour qu'ils
deviennent guides composteurs dans leur quartier. Cette campagne a déjà
permis de mettre en place 600 composts individuels la première année
(alors que la commune compte 9500 ménages). Les habitants qui se
mettent à composter bénéficient d'une réduction
d'impôt de l'ordre de 180 F. Ceci a permis en 1998 de redescendre
le volume des ordures au niveau de 1996. Dans les écoles, les enfants
ont reçu une "boîte à tartine" qui leur permet d'amener
un goûter sans les éternels emballages inutiles (plastique
ou aluminium), la commune commence maintenant à leur distribuer
des gourdes pour éviter les berlingots et boîtes en tout genre.
Une négociation est en cours avec les commerçants pour mettre
en place un logo communal "éco-consommation" où seront notamment
diminué les emballages et valorisé la vente en vrac et au
détail. L'élu écolo Michel Jehaes qui coordonne ces
actions envisage d'autres actions : développement de poubelles à
puce permettant de factuer à chacun l'enlèvement de ses déchets,
en tenant compte des quotients familiaux, collecte sélective de
la fraction organique pour ceux qui n'ont pas de jardin... (Source :
Imagine, septembre 1998).
Réduire les déchets à la source
En supposant que tout le monde participe (5), en supposant que les filières
industrielles se mettent en place et qu'un certain nombre de facilités
administratives soient arrêtées (6), la meilleure collecte
sélective ne peut pas permettre aujourd'hui de diminuer plus de
50 à 60 % du poids de nos déchets. Il existe en effet une
dégradation" irréversible du fait que certains matériaux
sont composites, que d'autres sont souillés, enfin que certains
recyclages débouchent sur des produits de moindre qualités
qui n'ont pas d'application (7).
Il faut donc réfléchir à une réduction
à la source qui nous permette de nous rapprocher de l'idéal
: à savoir le tout recyclable.
Pour cela il existe de multiples solutions dont certaines sont déjà
appliquées à grande échelle. Ainsi, depuis de nombreuses
années, l'équivalent de la SNCF en Allemagne utilise dans
ses trains des couverts en fibres végétales (cellulose) :
les déchets mélangés (nourriture plus couverts) sont
ensuite offerts à des porcheries. Des rembourrages existent en différents
matériaux (fanes de maïs, papier mâché...) pour
remplacer les copeaux de polystyrène... En Allemagne, l'ensemble
des producteurs d'eau minérale se sont mis d'accord pour ne plus
utiliser que deux types de bouteilles en verre ce qui permet de les consigner
et de les réutiliser dans l'usine la plus proche du lieu de collecte
( ce qui diminue les coûts énergétiques du recyclage).
En attendant des mesures prises à ce niveau là, on peut
aussi agir au quotidien en adoptant certains comportements, parfois fort
faciles à mettre en place.
Ainsi, pour supprimer les sacs plastiques, vous pouvez opter pour les
paniers en osier, pour les cabas en tissu ou pour le sac en tissu ou même
le sac à dos. Ma préférence va au sac en coton car
on peut facilement en garder un ou deux dans la poche en permanence.
Préférez de manière générale les
produits en vrac. On trouve facilement ceux-ci sur les marchés :
fruits, légumes, viande, etc. Pour certains produits (oeufs, fromages
frais...) il est possible de conserver les emballages précédents
et de les faire remplir alors à nouveau sur place. Tout ceci sera
pratiquement impossible -pour le moment- en magasin.
Eviter d'acheter les produits "non rechargeables" (style rasoirs, briquets...).
Il existe actuellement une évolution dans ce domaine : on trouve
maintement très facilement, par exemple, des lessives dans des plastiques
très fin pour recharger votre emballage carton (8).
Il faut chercher à supprimer au maximum l'usage des piles chez
vous : non seulement les piles sont polluantes, coûtent très
cher à recycler, mais elles vous coûtent aussi très
cher (le prix du KWH est environ 1000 fois plus cher que celui du
secteur). Comme de plus, il a fallu 50 fois plus d'énergie pour
la fabriquer qu'elle n'en restitue, préférez chaque fois
que c'est possible, le branchement sur le secteur.
Vous pouvez aussi diminuer des déchets qui ne finissent pas
dans la poubelle, mais dans les égouts, à savoir les produits
de nettoyage. Il faut savoir que ceux vendus dans le commerce sont souvent
très polluants (vous avez dû entendre parler des phosphates
dans les lessives). Il existe pourtant de nombreuses alternatives et il
est même possible de ne pas polluer du tout en achetant ses produits
dans des coopératives bio ou dans les salons écolos (9).
Enfin il faut savoir que c'est dans le domaine des plats préparés
que l'on observe actuellement une gabegie d'emballages complexes : dans
une boîte de gâteau, les emballages représentent souvent
plus de la moitié du volume. La solution : acheter en vrac les ingrédients,
un bon livre de recettes, et retrouver le plaisir de faire ses propores
plats cuisinés (10).
A vous de jouer !
Chacun d'entre nous peut avoir un truc particulier pour supprimer un
déchet. Il existe en Allemagne des clubs de quartier pour échanger
des astuces, trouver parfois des solutions collectives, etc. En France,
quelques associations travaillent sur le sujet (11). N'hésitez pas
à nous faire connaître vos idées, vos expériences,
vos pratiques... nous les répercuterons dans la revue.
Il existe aussi -toujours en Allemagne !- des clubs pour enfants qui
se penchent sur ce sujet, pratiquent des collectes et des opérations
de nettoyage. Une excellente méthode pour faire passer le message
aux générations futures.
Enfin, nous ne pouvons terminer sans raconter cette histoire. Dans
une ville allemande où un impôt a été instauré
directement proportionnel au poids des ordures ménagères,
un militant de Greenpeace -qui possédait un jardin- a réussi
à ne rien payer du tout : il n'a eu à éliminer que
des "encombrants" (vieux meubles) or ceux-ci peuvent être portés
à la déchetterie gratuitement. Il reconnaissait que cela
avait nécessité beaucoup de recherches personnelles, quelques
restrictions de consommation, mais il témoigne que c'est possible.
Michel BERNARD
Contact : CNIID, Centre National pour une Information Indépendante
sur les Déchets, 20 rue d'Amman, 75 020 Paris, tel : 01 43 58 68
65
Notes :
1 - On pourrait chauffer plus comme le propose EDF dans ses fours à
pyrolyse, ce qui est fait pour les déchets industriels, mais le
coût devient alors prohibitif.
2- Ces composteurs sont commercialisés en Europe du Nord. J''en
ai vu une fois sur le catalogue Ikéa.
3- La France est importatrice de compost actuellement
4- Cela peut aller jusqu'à : bouteilles verre transparent, bouteilles
verre brun, bouteilles verre vert, papier, cartons, textiles, bouteilles
plastique, métaux... et souvent on y ajoute médicaments,
piles
5- Selon une enquête de l'INSEE, 90 % des ménages
se déclarent prêts à trier leurs déchets.
6- Le 28 avril 1998, le ministère de l'Environnement a invité
tous les préfets à revoir les schémas départementaux
d'élimination des déchets ménagers en visant à
terme à ce que la moitié des tonnages fasse l'objet d'une
valorisation matière (recyclage) ou organique (compostage). Le 26
août 1998, les services de Dominique Voynet ont pris des mesures
en ce sens : obligation pour les communes d'infomer leurs habitants sur
les coûts précis de la gestion des déchets, baisse
du taux de TVA de 20,6 à 5,5 % pour les filières de la collecte
sélective...
7- Les producteurs d'eau minérale français ont dépensé
des fortunes pour nous faire croire qu'il est possible de recycler les
bouteilles en plastique, mais depuis dix ans, le taux de "réutilisation"
(et non de recyclage) reste stable à environ 2%. De même,
TetraPak a annoncé dans ses pubs la mise au point d"un "broyat"
de ses boites en papier-aluminium-plastique, broyat qui a de multiples
utilisations... mais que l'on retrouvera dans quelques années :
ainsi si on le met dans les sièges d'une voiture, on aura reculé
le problème d'une dizaine d'années.
8- A noter que la vraie solution consisterait à venir remplir
à nouveau un premier emballage à un distributeur de vrac,
lequel repartirait ensuite se recharger en usine. Ce n'est pas une utopie
: cela se pratique par exemple pour le lait dans les grandes surfaces en
Allemagne.
9- Marques non polluantes : Eco-ver, Léruthan... Le savon de
Marseille est totalement biodégradable. En grande surface, les moins
polluants sont Maison Verte, le Chat et Saint-Marc.
10- Cela vous fera économiser de l'argent ... et peut vous permettre
de moins travailler donc d'avoir du temps pour cuisiner. Cela vous évitera
de plus les conservateurs, les aliments transgéniques ; vous permettra
d'y associer vos enfants en leur donnant le sens du goût... Cela
vous permettra de boycotter les grandes multinationales de la bouffe
et peut-être même de ne plus aller dans les grandes surfaces.
Bref le début d'une révolution personnelle !
11- Souvent les coopératives biologiques.