Les nombreux scandales de l'agriculture industrielle entraînent
un regain d'intérêt pour l'agriculture biologique (1). Mais
son développement provoque des réactions et attire des convoitises.
Quelles sont les forces et les faiblesses de la bio ? Quels sont les pièges
à éviter pour que la bio puisse être considérée
comme une véritable alternative ?
L'objectif affiché de l'agriculture biologique est d'abord le
respect de l'environnement. Raisonnablement, on peut supposer qu'un
environnement respects soit favorable à la santé des individus.
C'est là qu'intervient une nuance importante, source de malentendus.
S'il est vrai qu'un environnement préservé est nécessaire
à l'obtention d'aliments sains, la bio n'est pas à l'abri
des pollutions environnantes comme celles de l'agrochimie mais aussi celles
des activités industrielles, routières et urbaines.
Il est donc assez complexe d'évaluer les résultats de
l'agriculture biologique. Et les détracteurs de la bio savent user
d'arguments simplistes (2) en concluant rapidement que les produits bio
ne sont pas meilleurs pour la santé.
Pourtant, plusieurs études ont mis en évidence l'impact
positif de la bio sur l'environnement et la biodiversité des milieux.
En outre les techniques sont inspirées d'une agronomie empirique
qui a fait les preuves de son efficacité, notamment en ce qui concerne
la prévention contre les parasites et les adventices. Par contre
le souci du paysage est laissé à l'appréciation de
l'agriculteur et les fermes bio ne semblent pas forcément mieux
placées que les conventionnelles à ce niveau. Même
chose pour l'énergie ou certains systèmes bio ne sont pas
plus économes que dans le conventionnel (déshydratation de
fourrage et chauffage des serres à partir d'énergie fossile).
D'autres études ont montré une meilleure qualité
nutritive pour les produits bio. Ceux-ci étant moins riches en eau
et donc plus riches en nutriments (acides aminés, vitamines, minéraux,
oligo-éléments). C'est ce qui a fait parler d'aliments favorables
a la santé. Mais les résultats sont maintenant plus nuancés
ce qui indiquerait une certaine tendance à l'intensification dans
la bio, conséquence probable de l'intégration économique
croissants dont font l'objet les producteurs. En fait, la santé
est une question beaucoup plus complexe car multifactorielle.
Les fermes bio présentent des soldes en azote très modérés.
Cette question des nitrates est récurrente que se soit dans les
aliments ou dans l'eau, car même organique, la fertilisation azotée
doit être raisonnée selon des règles agronomiques assez
ardues.
La qualité est le fruit d'un savoir-faire
Les produits bio sont accusés fréquemment de contenir
des moisissures, (appelées mycotoxines). Celles-ci sont dues à
un manque de maîtrise technique au cours de la production et du stockage
des céréales. Ce n'est pas la conséquence directe
du cahier des charges. Mais la bio a peut-être tendance à
oublier certaines précautions. On pourrait éviter au consommateur
le dilemme auquel il est confronté : choisir entre les moisissures
et les résidus de fongicides.
Quant à la question du goût, celui-ci est lié au
sol, au climat, au choix de la variété, au. mode de culture,
et au savoir-faire du producteur et du transformateur. Autant d'aspects
que la bio peut difficilement encadrer. Si les produits bio sont en général
bien placés, des produits issus du conventionnel le sont également.
D'une manière générale, la qualité est
une notion complexe et éminemment subjective qu'aucun cahier des
charges, ne saurait encadrer d'une manière absolue.
Enfin les résultats contradictoires obtenus lors des analyses
portants sur la qualité révèlent aussi implicitement
la présence de "faux- bio". Il arrive que des opérateurs
de la filière, peu scrupuleux et attirés par un profit énorme,
écoulent des produit conventionnels dans le circuit bio. En Bretagne
la justice vient d'être saisie d'un trafic portant sur 50 000 tonnes
de céréales écoulées en 1998 et 1999.
Il apparaît clairement que la bio ne s'exerce pas dans une bulle.
Elle ne peut donc faire fi des autres activités de la société
et en particulier de la politique agricole. Trois exemples l'illustrent
:
* La bio est soumise à certaines prescriptions réglementaires
qui l'obligent à utiliser des traitements chimiques. C'est le cas
du plan d'éradication du varon, un parasite des bovins, que les
services vétérinaires appliquent autoritairement. Outre qu'une
molécule extrêmement dangereuse ait été utilisée
en bio, la disparition de ce petit insecte pourrait entraîner des
désordres écologiques et sanitaires.
* La vache folle peut se rencontrer en bio car la transmission de la
maladie (par ailleurs encore très mal expliquée par les scientifiques)
peut être antérieure à la conversion. Les farines de
viande ne sont pas autorisées dans l'alimentation animale bio ;
par contre elles le sont comme engrais. Les farines d'os sont autorisées
comme minéral dans l'alimentation.
* Les organismes génétiquement modifiés sont interdits
en bio. Mais les firmes les ont introduits, secrètement à
plusieurs reprises dans les filières classiques. De telle sorte
que ceux-ci se disséminent d'une manière incontrôlable
et sont présents partout.
Un nécessaire recadrage
Pour renforcer la crédibilité de la bio, les contrôles
et tout le processus de certification doivent être améliorés.
Les organismes de contrôle sont théoriquemeent soumis à
une obligation d'indépendance qui n'est pas toujours respectée.
Ils sont plutôt soumis à une autre règle qui est celle
de la concurrence. Ils sont quelquefois plus ou moins liés à
l'agro-alimentaire et font des concessions pour maintenir leurs parts de
marché.
Les cahiers des charges ont besoin d'être précisés
afin d'éviter des dérives. Cela concerne surtout la fertilisation,
avec l'utilisation des matières organiques. En Bretagne, près
du tiers des fermes en bio utilisent des déjections animales non
bio : soit qu'elles possèdent elles-mêmes un élevage
non bio, soit qu'elles prêtent leurs terres pour l'épandage
des déjections d'un autre élevage. C'est la question délicate
de l'élevage hors-sol dans l'Ouest, qui a pris une telle ampleur
que la bio est elle-même "rattrapée". Mais la modification
des cahiers des charges est très difficile. La bio étant
officiellement reconnue par les pouvoirs publics, cela passe par une procédure
administrative longue et complexe. Les professionnels de la bio (3), ainsi
que les associations de consommateurs qui sont susceptibles de proposer
des avenants ont peu de poids face au lobby de l'agro-alimentaire favorable
à une bio laxiste (voir hors-sol), pour s'engouffrer plus facilement
dans la "niche commerciale". Par ailleurs la bio est avant tout une obligation
de moyen, sans garantie de résultats. La question est de savoir
s'il faut introduire la notion d'obligation de résultats, c'est
à dire une "garantie de conformité" prouvée par des
analyses. C'est une question délicate car on sait que les analyses
ne sont pas suffisamment fiables pour prouver la qualité d'un produit
et l'on sait aussi que l'absence de résidus dans le produit final
n'est pas une preuve de respect de l'environnement. Faut'il éliminer
du circuit les produits bio qui sont victimes de pollutions extérieures
? N'est ce pas plutôt par un renforcement des obligations de moyens
que l'on parviendra à de meilleurs résultats ?
La bio a oublié le social
La bio ne permet pas de se soustraire aux problèmes de l'agriculture
conventionnelle. Celle-ci intègre peu à peu la bio et les
mêmes problèmes se posent avec autant d'acuité : problème
d'accès à la terre, d'installation, de droits à produire,
concentration, baisse des prix, soumission à la filière...
Un des déficits de l'agriculture bio est d'avoir pratiquement
oublié la question de l'emploi. C'est-à-dire le rnaintien
d'un maximum de fermes de taille familiale. Le milieu bio n'a pas pris
en compte les aspects sociaux. On n'a considéré, avec naïveté,
que tout allait de soi. La bio n'est l'apanage d'aucun syndicat à
vocation générale (Confédération paysanne ou
FNSEA) et il n'y a pratiquement aucune tradition syndicale. C'est ainsi
qu'on a connu le discours : "Petits ou gros agriculteurs, ce n'est pas
le problème, l'essentiel c'est la bio". Ce type de discours
qui est aussi celui de la FNSEA conduit tout droit à l'élimination
d'un grand nombre de paysans. On a oublié de plafonner les tailles
d'élevage dans les cahiers des charges de ruminants, ce qui
peut laisser apparaître des élevages dépassant 100
vaches laitières, utilisant, par exemple, un robot de traite
qui élimine la main-d'oeuvre. De même, les aides financières
accordées pour la conversion ne sont pas plafonnées ; ce
qui fait que les grosses exploitations empochent le pactole (comme pour
l'ensemble de l'agriculture où 20 % des fermes reçoivent
80 % des aides).
Mais il ne faut pas non plus tomber dans le travers d'interdire la
bio à certaines fermes, car ce serait néfaste pour l'environnement.
Il s'agit plutôt, par citoyenneté, que la bio ne participe
pas à la concentration des fermes, synonyme de désertification
des campagnes.
Un moyen de prendre en compte l'emploi serait d'appliquer les prix
différenciés : garantir un prix pour un volume commercialisé
par travailleur (4). La filière bio aurait les moyens de l'appliquer
car les producteurs gèrent quelques coopératives de commercialisation
à taille humaine. Mais la volonté semble manquer, à
moins que les pressions économiques ne soient trop fortes...
Au niveau de l'emploi salarié, la bio est évidemment
à la même enseigne. On peut y rencontrer les bas salaires,
la flexibilité, la précarité, voire la main-d'oeuvre
clandestine dans les productions légumières et fruitières
du pourtour méditerranéen. Il faudrait aussi se préoccuper
des conditions de production dans les pays du Sud, car la bio n'échappe
pas à la mondialisation.
A l'heure ou l'on parle de commerce équitable, où de
plus en plus de consommateurs réclament de l'éthique sur
l'étiquette", il est paradoxal que la bio ait oublié le social.
Communiquer sur l'emploi apporterait un plus et ce d'autant plus facilement
que la bio emploie 25 % de main d'oeuvre en plus par rapport aux fermes
conventionnelles.
Le risque d'une bio industrielle
La bio est aujourd'hui confrontée à l'arrivée des
groupes agro-alimentaires conventionnels. Ceux-ci viennent à la
bio parce que leur acheteurs (les plates-formes d'achat) exigent des produits
bio pour coller au marché. C'est même une condition qui leur
est imposée quelquefois pour continuer a écouler les produits
de masse. D'un côté, ces groupes diversifient par obligation
commerciale, de l'autre ils continuent d'encourager l'agriculture intensive.
En imposant leurs méthodes à la bio, ils en videront la substance.
Cette démarche trouve son corollaire dans le syndicalisme, avec
la FNSEA, et dans le développement, avec bien des chambres d'agriculture
contrôlées par cette même FNSEA : un peu de bio pour
occuper le terrain, mais pas touche au modèle dominant.
Les grandes surfaces ne sont pas en reste. En imposant leurs prix et
leurs conditions, elles mettent les producteurs en situation financière
délicate. Mais comment les éviter puisqu'elles contrôlent
près de 80 % de la distribution aujourd'hui ? De plus, avec la pratique
des "marques distributeurs", elles font disparaître la traçabilité
des produits.
Pour sauver la bio, une démarche citoyenne consisterait A éviter
toute collaboration avec ces circuits. Cela devient difficile aujourd'hui
car le "public" de la bio s'élargit et devient opportuniste. Les
pionniers de la bio, investis dans les groupes d'agriculteurs bio, parviendront
ils à maîtriser le développement de la bio ? Obtiendront
ils des financements pour mener à bien leur mission ? Déjà,
certains petits producteurs abandonnent la certification officielle qui
ne correspond plus à leur démarche.
Agriculture raisonnée ou durable ?
Reste que si la bio est bien le fer de lance d'une agriculture respectueuse
de l'environnement, son impact reste faible car elle concerne 1 % des surfaces.
Sa pratique nécessite une bonne formation et reste élitiste.
D'où l'importance d'attirer le plus grand nombre d'agriculteurs
vers "des formes d'agricultures intermédiaires". Nous dirons que
dans ce domaine il y a a boire et à manger...
L' agriculture raisonnée (5) est un concept promu par la FNSEA,
mais derrière lequel se cache la plupart des grandes marques de
l'agro-industrie : Rhône-Poulenc, Novartis, Monsanto... Objectifs
: apporter des petites touches au productivisme, mais sans le remettre
en cause ; rassurer les consommateurs pour conserver les parts de marché
et surtout faire barrage aux autres initiatives (dont la bio). Même
si toutes les améliorations sont bonnes à prendre, elles
ne seront pas suffisantes pour reconquérir l'environnement. Les
échecs successifs des programmes en Bretagne le prouvent. Il est
également difficile de croire que des produits dits "de synthèse"
puissent être anodins pour l'environnement. Voici deux exemples d'actualité
:
* Le désherbant "roundup" (matière active : le glyfosate)
a longtemps été présenté comme sans danger
pour l'environnement car on ne retrouvait pas de résidus à
l'analyse. Ceci pour la bonne et simple raison qu'il n'existait pas de
moyens d'analyse assez sensibles. Aujourd'hui que ces moyens existent,
on retrouve du glyfosate partout. Sa toxicité apparait aussi au
grand jour. De plus, comme tous les pesticides, la molécule de départ
se transforme en métabolites dont on connaît mal les effets.
* L'insecticide "Gaucho" avait été présenté
comme écologique car inoculé à faible dose aux semences.
Jusqu'à ce qu'on s'aperçoive que ce produit décime
les populations d'abeilles venant butiner sur les fleurs.
A noter au passage que pour ces deux produits, des voix s'étaient
élevées pour qu'ils soient autorisés en bio !
Par contre, il existe une démarche plus sincère qui est
celle des groupes "Agriculture Durable" implantés surtout dans l'Ouest
(6). On y développe une approche globale pour concilier l'économie,
l'emploi, l'environnement, mais aussi le paysage et la qualité de
vie. Approche globale que, justement, la bio n'a pas toujours su avoir.
Il arrive donc, que des fermes en agriculture durable soient plus cohérentes
que des fermes en bio.
Les produits issus de ces agricultures intermédiaires", sauf
quelques initiatives particulières, ne sont pas contrôlés
identifiés et valorisés en tant que tel. Ils ne font pas
l'objet de cahiers des charges précis comme en bio (7). Cela n'apparaît
pas souhaitable non plus car cela entraînerait une confusion chez
les consommateurs par rapport aux produits bio.
Favoriser les circuits courts
Les critiques dont fait l'objet la bio ne doivent pas faire oublier
que l'agriculture conventionnelle peut produire le pire et le meilleur.
Le pire qui s'apparente quelquefois à de l'empoisonnement dans certains
systèmes industriels intensifs. Le meilleur qui heureusement existe
encore et peut être aussi bon que la bio (et même meilleur
lorsque celle-ci s'industrialise). Mais ce meilleur se trouve mélangé
aux produits de masse, à part quelques produits identifiés
comme les produits fermiers et certains labels.
Pour le consommateur qui ne peut autoproduire, le plus important est
d'établir un lien direct avec les producteurs, dans une relation
de confiance où ce dernier explique comment il produit. Raccourcir
les circuits est nécessaire, notamment pour que la qualité
ne soit pas dévoyée.
L'agriculture biologique, si elle veut être une alternative crédible,
devra éviter les pièges de l'industrialisation et des marchés.
Elle devra aussi intégrer une démarche plus globale.
Michel Bobon
Avant d'être paysan en Bretagne, il a été animateur
technicien dans des groupes d'agriculteurs bio. Il a également collaboré
avec les groupes Agriculture durable et la Confédération
paysanne.
(1) Les surfaces consacrées à l'agriculture biologique
en France ont augmenté de 44 % en 1999.
(2) Notamment une étude de L'Institut National de la Consommation
réalisé en 1998 et publiée dans "60 Millions de consommateurs".
(3) La Fédération nationale des agriculteurs biologiques
et ses groupements régionaux
(4) Le quantum proposé par la Confédération paysanne.
(5) Promu par le Forum pour une agriculture raisonnée respectueuse
de l'environnement.
(6) L'agriculture durable est notamment inspirée par les méthodes
d'André Pochon qui consistent à développer la culture
de l'herbe avec peu d'intrants.
(7) Excepté quelques opérations agri-environnementales.