Théâtre / Vladimir
Maïakosvki
Grasset (collection Les Cahiers rouges),
1998, 356 p., 64 F
Sont
réunis ici plusieurs pièces de Vladimir Maïakovski,
considéré comme le père de la poésie soviétique
: Vladimir Maïakovski datant de 1913, La punaise, Le Mystère-bouffe
et La Grande lessive. La première pièce est une tragédie
qui met en scène le poète Vladimir Maïakovski comme
personnage principal. On trouve aussi des vieux chats noirs et secs, un
homme sans tête, la femme petite larme et d'autres personnages aussi
étranges. C'est la fête des pauvres et Vladimir se retrouve
parmi les gueux. Il se fait le porte-parole de ces sans-voix et la révolte
gronde dans les cœurs. Une petite pièce bien bizarre qui doit être
bien relue deux fois pour bien en comprendre le sens. En tout cas cette
pièce est surtout dénonciatrice (pas de propagande chiante),
pas comme les suivantes qui seront plutôt à la gloire du socialisme
soviétique comme le Mystère-bouffe. La Punaise est elle aussi
assez particulière et laisse derrière elle le théâtre
conventionnel que dénonce Maïakovski. Comique avant tout (c'est
une comédie !) elle est aussi une dénonciation du petit-bourgeois.
Prissipkine qui est devenu Pierre Skripkine pour plus d'élégance
en est le personnage principal. Ex-ouvrier, il se marie avec Elzévire
Davidovna, manucure et caissière dans un salon de coiffure. Manque
de bol le salon brûle alors que la fête célébrant
le mariage bat son plein. 60 ans plus tard Prissipkine, congelé,
est réveillé par des médecins dans une URSS transformée.
Des robots se chargent de voter les décisions, des arbres avec des
assiettes contenant des mandarines trônent dans les jardins… Prissipkine
apporte malheureusement avec lui sa "maladie" (en fait son univers petit-bourgeois)
et une punaise.... Et ce n'est pas triste. Mais le monde "nouveau" décrit
a plutôt l'air d'un cauchemar pour moi mais Maïakovski devait
le voir comme le monde "parfait" ?. Le Mystère-bouffe lui est encore
pire dans le genre grandiloquent et "je lèche les bottes" au socialisme.
De la propagande pure avec des purs ( un Négus, un Pacha, un chinois,
un Allemand, Clémenceau, un américain..) et à l'opposé
des impurs (un mineur, une blanchisseuse, un mécanicien…). Entre
les deux un conciliateur mais aussi des diables et des saints et des personnages
de la terre promise : marteau, faucille, autos, scie, pain… Plus d'autres
personnages. Maïakovski présente cette pièce comme la
route vers la révolution (l'action se déroule ainsi dans
l'univers, dans l'Arche, en Enfer, au Paradis, aux pays des débris
pour finir dans la Terre promise). Reprenant donc des épisodes religieux
(le déluge, l'Arche, le Paradis et l'Enfer), l'auteur s'en sert
pour s'en éloigner difinitivement (on détruit le Paradis…).
Quant aux purs ils sont supplantés par les impurs qui gagnent à
force de courage et de persuasion la Terre promise. De bonnes choses donc
mais une pièce idéologique qui me barbe quand même.
La Grande lessive par contre est "plus délectable" même si
la fin est encore axée propagande (ah la foi dans le socialisme…).
Cette pièce, destinée "à lessiver les bureaucrates"
me rappelle un roman de Boulgakov (Le Maître et la marguerite). Mais
l'auteur qui voulait juste dénoncer les travers de quelques personnes
dénonce implicitement tout le système et sa pièce
devient acerbe. On y rencontre l'inventeur Tchoudakov, inventeur d'une
machine capable d'effectuer un aller-retour dans le futur au prise avec
le camarade Pobedonossikov, "dirdécor", directeur principal du service
des coordinations. La fin est plutôt conventionnelle mais cette pièce
reste assez jubilatoire et intéressante. Donc à boire et
à manger dans le théâtre de Maïakovski. En tout
cas une bonne approche pour tout ceux et celles qui ne le connaissent pas.
L'OS
Les trois chemins / Sergio
Garcia et Lewis Trondheim
Delcourt, 2000, 30 p., 55 F
C’est génial.
L’organisation des dessins est grandiose … il n’y a plus de cases, l’espace
est libéré.
Il y a trois chemins où débutent trois histoires : celle
de John Mc Mac, un homme riche accompagné de son souffre douleur,
il veut retrouver celui qui lui doit trois pièces d’or ; celle de
Roselita, qui est poursuivie par son nuage qui lui balance des pierres
au lieu de lui donner des p’tits pains comme d’habitude ; celle de
H Deuzio, le gentil p’tit robot, qui est coincé sur une barque qui
dérive et lui, il voudrait descendre sans tomber dans l’eau.
Les trois chemins se croisent, se croisent à nouveau … d’autres
chemins les coupent … alors les personnages se rencontrent … ce qui arrive
à l’un fait boule de neige sur les autres … etc … etc …
La lecture est désorganisée, elle parcoure un chemin,
elle repart par un autre, par ici, par-là …
La lecture s’organise comme elle l’entend pour suivre l’histoire de
chacun, une véritable p’tite gymnastique …
Les personnages ont tous des émotions propres. Le p’tit robot
est vraiment gentil, il comprend rien et il se trompe sur les intentions
des gens … il va même se prendre pour un super héros … il
va trouver ce qu’il ne cherchait pas vraiment, à sa grande joie.
Roselita, elle, elle refuse de grandir mais elle sera bien obligée
… et elle rencontrera simplement l’amour. Le riche avare finira plutôt
mal (et c’est bien fait pour sa gueule) et son souffre douleur trouvera
la liberté …
C’est très simple, les gentils gagnent et le méchant
sombre. Voilà … du délire, j’adore.
Cette bande dessinée plaira aux grands comme aux petits … il
en sort une véritable poésie dans la simplicité des
histoires et des dialogues et des dessins tous pleins de couleurs et de
joie … et en plus il y a pleins de p’tits à côté qui
assurent la bonne humeur, des p’tits dessins de personnages qui n’ont rien
à voir avec l’histoire mais qui sont très importants.
De toute façon, c’est du TRONDHEIM, alors : qualité assurée.
QUEMOUL
Berck / Gébé
Ed. Gallimard (collection Folio), 1978,
156 p., 36 F
Vous
ne connaissez pas encore Berck ? Cela rappellera sûrement certaines
choses aux anciens lecteurs de Charlie Hebdo où ces planches ont
parus. Gébé à cette époque faisait des bonnes
choses comme Berck, personnage très bizarre. On nous dit dans le
livre que "ses aliments préférés sont les roses, les
vieux poissons, les corbeaux crus et le mercurochrome". Côté
physique, Berck a l'air mou tout en étant dur, presque invulnérable
; il a un peu la forme d'un pingouin avec un long nez pointu et des yeux
immenses. Sa principale occupation est la recherche de nourriture. Facile
à faire mais les gens n'aiment pas qu'on leur pique leurs affaires.
Mais Berck s'en sort toujours. Joyeux drille, farceur, un côté
anar qui n'est pas pour me déplaire, il me rappelle un autre personnage,
de Reiser par contre, Gros dégueulasse. Le genre de personnages
qui n'ont pas l'air sympathique mais que l'on finit par aimer. Et c'est
le cas de Berck (pas Beurck !).
L'OS
Ma vie folle / Richard Morgiève
Pauvert, 2000, 155 p., 92 F
Avec
Richard Morgiève on est en plein dans la fonction cathartique de
l'écriture. Ma vie folle est le cri de douleur, le témoignage,
l'auto-fiction d'un homme tourmenté par la vie, la mort, l'amour.
L'auteur nous livre ici ses états d'âme, sans fioritures,
brut de décoffrage pourrait-on dire. Ca déménage...
Hanté par la perte de ses parents qui sont morts alors qu'il
était jeune (sa mère est morte d'un cancer, son père
s'est suicidé en mettant la tête dans une gazinière),
il écrit pour survivre, pour en finir avec le passé (mais
sans s'en séparer), s'accepter dans son corps et s'accepter avec
les autres. Richard Morgiève évoque donc des épisodes
de son enfance, de sa vie d'adulte (et de la vieillesse), parle de ces
femmes qu'il a rencontré, de son fils et de ses enfants, de son
homosexualité latente mais surtout de ses parents, de cette mère
à laquelle il dédie ce livre. Volonté donc d'une part
de faire le "deuil" de ses parents, de les retrouver ; et volonté
d'autre part de retisser les "liens" amoureux avec sa troisième
femme qui lui a dit un matin qu'elle l'aime un peu moins. Sentiments, impressions,
événements qui sont relatés à travers des paragraphes
courts, distendus, une ponctuation presque inexistante, des phrases hachées,
arrachées (des fois elles ne finissent pas !), des mots qui martèlent
comme ce passage en majuscule après le suicide de son père
: "Là je crie de toutes mes forces un cri silencieux mais de toutes
mes forces pour chasser la peine pour briser mes chaînes en crêpe
noire". Des passages plus calmes viennent reposer le texte comme quand
il invoque sa mère : "Et je me tourne vers elle et il me semble
que nos regards se rencontrent il me semble que je ne l'ai jamais vue si
rayonnante dans son cadre doré".
Un livre "délivrance" pour l'auteur qui nous fait partager ses
sentiments et on se laisse prendre au "jeu", à ce travail d'écriture,
à ce "écrire c'est vivre" ou plutôt pour Richard Morgiève
à ce "écrire, c'est vivre un peu plus".
L'OS
Paroles de détenus
/ sous la direction de Jean-Pierre Guéno
Ed. J'ai Lu (collection Librio), 2000,
189 p., 10 F
Nous voilà sur la marelle de la vie, dans les cases de ceux que
l’on oublie. Nous voilà dans Paroles de détenus. Ecoutons
les complaintes des hommes enfermés, lisons leurs lettres, elles
sont les vibrations de leur être.
Ce livre raconte une chute, notre chute, si nous avions trébuché.
Le lecteur devient un prisonnier symbolique. Le voilà enfermé,
face à la loi de l’interdiction et de l’obéissance, où
on devient « quelque chose ».
Le prisonnier subi l’étroitesse des cellules, le lit en béton,
les chiottes crades …
Le prisonnier doit se redécouvrir, découvrir les autres,
tout en gardant en lui son passé et notamment certains regards qui
hantent. Ici, même l’appréciable devient difficile à
vivre. Les visites au parloir peuvent être un véritable choc,
c’est un rapport avec le monde extérieur devenu inaccessible. Lorsque
les visiteurs repartent, revoilà la solitude. Il faut alors se forcer
à penser à l’Avenir lorsque Avenir il y' a. Certains prisonniers
ont la possibilité de suivre des études ; certains se réfugient
dans la lecture ou l’écriture afin de retrouver une conscience de
soi. Sinon le vertige du désespoir est de plus en plus profond et
le chaos est immédiat.
L’intimité n’existe pas, la dignité n’existe pas, le
suicide, lui, existe.
Ici, tous les prisonniers ne sont pas égaux dans l’enfermement
… certains auront des cellules plus grandes ou seront seuls, cela est révoltant
car les inégalités du dehors se retrouvent dedans.
« La prison est injuste » comme l’écrit un des détenus.
Paroles de détenus ouvre les yeux, la lecture de
lettres est toujours captivante.
A chacun de se faire son avis face à ces témoignages
… le débat est là.
NATH
Peines de mort : histoire
et techniques des exécutions capitales des origines à nos
jours / Martin Monestier
Le Cherche Midi éditeur (collection
Documents), 1997, 301 p., 196 F
Strangulation, pendaison, électrocution, noyade, sciage, dépeçage,
guillotine... La liste n'est pas exhaustive... et fait froid dans le dos.
Ces "techniques" qui donnent la mort ont et sont (pour la plupart) utilisées
pour punir des hommes, des femmes, des enfants considérés
comme coupables et mériant à ce titre la peine capitale,
c'est à dire la mort. Cet ouvrage retrace donc l'histoire de ces
peines capitales, de ces supplices : chaque technique est décrite
précisemment, son historique est retracé jusqu'à aujourd'hui,
le tout agrémenté d'images et de photographies dont certaines
sont difficillement supportables. Malgré l'aspect "catalogue de
perversions", cet ouvrage est une mine d'informations sur cette verrue
qu'est la peine capitale. Les épisodes historiques sont particulièrement
enrichissants. Pour ne citer que la France, en 1793, un certain Carrier
avait pour mission de mater la révolte des Chouans en Vendée.
Ce qu'il fit avec application puisqu'il ordonna la noyade de plus de 5000
personnes en moins de deux mois, enfants et les bébés compris.
Il avait même conçu des bateaux spéciaux pour faciliter
leur exécution. Les bourreaux sont donc légion et proviennent
de tous les pays et continents et continuent à pulluller. Pourtant
dans notre monde civilisé on pourrait croire que la peine capitale
est en voie de disparition. Que nenni ! Elle est même en progression.
Ainsi "la peine capitale reste prévue dans les législations
des plus importantes nations du monde", "les neuf dixièmes de l'humanité",
les Etats-Unis étant l' "exemple" le plus médiatisé.
Une liste détaillée à la fin du livre des pays qui
appliquent la peine de mort et pour quelles accusations est éloquente
et montre qu'il y'a encore du chemin à parcourir pour abolir la
peine de mort partout dans le monde. Pour en revenir aux USA la dernière
"technique présentée est l'injection létale, c'est
à dire une injection de barbituriques entraînant la mort et
utilisé dans ce charmant pays. "Dernier cri" en matière de
technique elle est considérée par beaucoup comme la plus
humaine (sic !). Sauf que comme toute exécution et en dehors des
considérations philosophiques ou morales elle n'est pas sure à
100%. En tout cas les médecins qui participent au dosage du produit
doivent normalement faire en sorte que leurs patients ne meurent pas. Alors
qu'ils font tout le contraire ! Comme le dit si bien la phrase qui conclut
ce chapitre sur l'injection : "Les bourreaux en tablier blanc, armés
d'une seringue, sont-ils les reflets d'une société de plus
en plus civilisée ?" Assurément non.
L'OS
Cristal qui songe / Théodore
Sturgeon
Ed. J'ai Lu (collection Librio), 1999,
157 p., 10 F
Ce jour là …
Horty, huit ans, est surpris en train de manger des fourmis.
Ce jour là …
sa vie va être totalement bouleversée : son père
adoptif va lui broyer trois doigts ; il va fuir …
il va se réfugier dans un cirque où il devient le compagnon
de route d’un nain, de deux naines (Zena et Bunny), de Solum dont la peau
était effectivement d’un gris verdâtre, de Gogol : l’homme-poisson,
d’un chat à deux pattes (etc) ; il va alors rencontrer le terrible
Cannibale qui n’est autre que le patron du cirque.
Ce Cannibale est un personnage vraiment singulier. Il jouit du dégoût
que lui inspire l’humanité. Ancien médecin devenu ivrogne,
« il crevait de faim, mais comme les richesses matérielles
avaient de la valeur aux yeux de ce monde qu’il haïssait, il retirait
de sa pauvreté une jouissance supplémentaire » … il
avait l’amour de la révolte mais il devient de plus en plus amer
… mais épuisé il capitula et se fit « engager dans
un laboratoire de biologie où il fut chargé d’analyses cellulaires
». Puis, un jour dans une forêt, il vit deux arbres identiques
… alors, il fit la découverte qui bouleversa sa vie … il découvrit
« une sorte de cristal » … alors il rechercha sans cesse le
moyen d’aboutir à la destruction absolue de l’humanité …
Tels sont les destins, tel est le Roman …
Quel est le lien entre cet homme qui méprise tous les gens, ce
jeune enfant prodige qui accumule toutes les connaissances : anatomie,
physiologie, littérature, sciences naturelles, histoire, musique
… et ce cristal rêveur qui peut pousser des cris silencieux face
à une agression psychique.
Quel est le lien ?
Ce roman est vraiment captivant, le lecteur se laisse transporter et
il essaye de comprendre l’emboîtement des événements.
Les personnages sont très élaborés. Durant ce roman,
les rencontres sont multiples et riches en émotions, qu'elles soient
positives ou totalement négatives.
Ce p’tit roman de littérature fantastique se lit d’un trait et
arriver à comprendre sa conclusion devient, la quête :
« Si l’individu survit aux dépens du groupe, il met l’espèce
en danger. Si le groupe entend survivre aux dépens de l’espèce,
il va manifestement au suicide. L’essence du bien et du mal réside
là ; c’est de cette source que coule la justice pour l’humanité
entière ».
COGITONS.
QUEMOUL