Natsume
Soseki, auteur japonais de la fin du XIXe siècle et du XXe (1867-1916),
a publié ce roman en feuilleton dans un grand quotidien en 1912.
Keitarô, jeune homme tout frais sorti de l'Université vivote
dans une pension dans la ville de Tokyo, à la recherche d'une situation.
Un jour il rencontre aux bains publics un de ses voisins, Morimoto, qui
a pris un jour de congé et qui se prélasse dans l'eau. Pour
eux c'est l'occasion de se connaître un peu plus. Keitarô,
friand d'aventures, trouve en Morimoto un conteur qui lui fait découvrir
un monde. Tout allait bien jusqu'au jour où son ami disparait. Il
lui laisse en cadeau une canne qu'il a sculpté représentant
une tête de serpent la gueule ouverte.
Morimoto disparaît donc du roman et laisse place à Sunaga,
un ami de Teikarô, vivant dans le "luxe" (l'insouciance plutôt)
avec sa mère . Keitarô le sollicite pour qu'un des oncles
de Sunaga (Taguchi) lui trouve un travail, travail qui se révèle
être un travail de détective privé. Cet épisode
constitue la 2e et 3e partie du roman. On y découvre le deuxième
oncle de Sunaga appelé Matsumoto, les deux filles (Chiyko et Momoyoko)
de son oncle Taguchi. La 4e partie intitulée Un jour de pluie
raconte la mort et l'enterrement de la fille adoptive de Matsumoto. Les
deux autres parties font disparaître Teikarô pour laisser la
place à l'histoire de Sunaga, de ses relations (amoureuses) avec
Chiyoko, puis l'oncle Matsumoto nous fait partager son point de vue sur
ces relations. La conclusion revient sur tout ce qu' a entendu Keitarô,
sur ces divers points de vue de la vie, sur les rapports d'un homme
avec une femme, sur les sentiments exprimés et les malentendus possibles.
Cette sorte d'éducation sentimentale (à rapprocher avec le
roman éponyme de Flaubert) d'un jeune homme naïf presque spectateur
peut paraître aujourd'hui un peu vieilli, un peu trop traditionnel
(mariage d'intérêt, misogynie bien présente). Cependant
les thèmes abordés sont universels et les sentiments ressentis
à la lecture de ce roman ne peuvent que nous toucher.
L'OS
La bête et la belle / Thierry
Jonquet
Gallimard (Folio policier), 1999,
157 p., 29 F
Dès le début du roman, le lecteur est transporté
de cadavres en cadavres … évoqués comme des balises … mais
la route est vraiment tordue, alors : attention.
Rolland Gabelou même l’enquête … il veut démêler
l’histoire du Coupable … un seul témoin de l’affaire : le vieux
Léon mais le Coupable, c’est son ami car le Coupable, il l’a accueilli
chez lui … alors il va fermer sa gueule.
Il y a une histoire de couple : la Garce et le Coupable … un couple
qui capote … le Coupable va sombrer … ses cassettes l’accusent : le Coupable
est un monstre … et Léon il l’aime bien … malgré les sacs
à ordures qui tapissent petit à petit l’espace : «
L’ennui, c’est que les sacs éclataient, ça coulait partout,
et la fosse à purin (…) c’était le paradis en comparaison
de ce qu’on a respiré. Terrible, c’était terrible, ce qui
sortaient des sacs, une bouillie de toute les couleurs, pleine de jus »
… tout cela pour cacher le cadavre dans le congélateur … Léon
il l’aime bien … malgré les trains électriques … les bouteilles
d’excréments …. l’invasion de la folie …Léon il est droit
avec son ami … même si Gabelou, il l’aime bien pour un flic.
Le Coupable est un toqué absolu où sa vie se lie à
son boulot, il est instituteur … il a la passion du modélisme …
il est lié au Carrefour du coin pour les courses et les sacs plastiques
… il ne jure que par la Camif : « pour les vacances, à la
Camif, les prix sont très avantageux. » … c’est vraiment hilarant.
Sa vie est banale, lui cela lui suffit mais pas à sa femme … alors
le cerveau commence sa cavale.
Ce roman est un parcours dans la violence, des cadavres vont entraîner
d’autres cadavres … où l’origine est le congélateur …
Ce roman pue l’immondice … mais son rythme est élégant,
le phrasé est régulier. De plus, c’est vraiment captivant
de passer d’un narrateur à un autre …
Ce roman se lie d’un trait car tout se mêle, une véritable
cascade qui aboutie à l’impensable … et le lecteur sombre tout en
étant dans la totale interrogation …
Les derniers paragraphes du roman sont formidables, et la petite conclusion
ayant comme support les contes pour enfants est magistral … d’un cynisme
total sur la société …
« Personne ne se maria, personne n’eut beaucoup d’enfants. Le
crapaud resta crapaud (…) ».
Du très bon Joncquet.
QUEMOUL
La sous-développée
/ Zoé Valdés
Actes Sud : Leméac, 1995,
77 p. , 60 F
Petit livre publié il y'a déjà quelques années
mais parfait pour découvrir Zoé Valdés, le récit
commence plutôt banalement. Daniela, fille de l'ambassadeur et de
l'ambassadrice de Cuba en France, rejoint ses parents fraîchement
nommés à Paris. Abandonnant à Cuba un amant et une
amie, la "sous-développée" se retrouve dans une aventure
peu banale tout en essayant de satisfaire ses parents, avides de réceptions
mondaines et soucieux du m'as tu vu. Mais Daniela n'est pas vraiment le
genre fille modèle et l'aventure commence dans les airs. Dans l'avion
qui l'ammène en France elle fait la connaissance d'un voleur, qui
dit s'appeler Maurice et qui lui offre un diamant qu'il vient juste de
voler. Refusant son offre elle avale par mégarde le diamant (si
si !). Et c'est tout pour l'instant.
A Paris elle retrouve une ancienne amie devenue photographe et Maurice,
le baron Mauve, gentleman cambrioleur énigmatique. Une relation
amoureuse va s'établir (l'épisode de l'avion est à
lire !), parsemée de rendez-vous "à la romantique", entrecoupé
de vols (vols de voleurs et vols en avion aussi) auxquels participe Daniela.
Des vols étranges : le baron Mauve s'amuse à vider un appartement
bourgeois de ses meubles et bibelots qui se trouvent être en fait
des imitations ou des pâles copies (il appelle cela les "leçons
de bon goût"). Il remplace le tout par des objets identiques mais
véritables. Un mois après il remet en place les anciens meubles.
Menant double jeu (avec le baron et avec ses parents), Daniela "vivait
d'amour et d'eau fraiche", en jeune insousciante. Mais cela ne pouvait
pas continuer ainsi comme vous pourrez le constatez en lisant cet ouvrage.
Sachez juste que vous y trouverez de l'aventure, un zeste de magie,
de l'amour, des situations qui font sourire et surtout un récit
qui est merveilleusement "raconté", qui ferait selon moi un très
bon scénario pour un film. Avis aux amateurs.
L'OS
La théorie des gens seuls
/ Dupuy et Berbérian
Les Humanoïdes Associés,
2000 (Tohu Bohu), non paginé, 69 F
Nous voilà de nouveau dans l’univers de M. Jean, connu des amateurs.
Jean est toujours le même, ses amis – Félix, Clément
– sont toujours les même et notre plaisir est toujours là.
La joie des retrouvailles … ô bonheur.
Et hop …
Cette bande-dessinée est une succession de p’tites histoires
… de p’tits états d’âmes … de p’tits clins d’œil à
la Vie, à l’amitié.
Chaque personnage apporte la vision de la vie. Félix est de
loin le meilleur dans ce p’tit jeu : « Vous savez pourquoi le monde
est injuste ? Parce que quand deux personnes se battent, on peut, au passage,
finir par prendre un coup. Mais quand deux personnes s’embrassent, il y
absolument aucune chance de se choper un baiser … », ou encore :
« moi, je dis : en amour, il ne faut jamais être négligé
de la chaussette » et ainsi de suite … du grand art. Félix
est le maître des théories à la con … ce qui rend toujours
Jean et Clément dubitatifs.
Cette BD est un ruisseau de tendresse, de joie … où l’on cherche
quel est l’intérêt d’un grille pain dans une relation horizontale
… où l’on insiste à un anniversaire gonflant à la
campagne … où l’on va faire la maternelle buissonnière …
Le dessin en noir et blanc possède un trait simple … très
agréable, très sympathique …
Tout marche pour l' émotion, on peut lire de superbes expressions
de visages … les murs, les maisons, la ville, la campagne baignent dans
le même trait … en toute simplicité.
Cette bd parle de la vie de tous les jours … ah ! tendresse … humour
… cynisme … amour … amitié …
Vraiment attachant …
La théorie des gens seuls est une véritable pause
de plaisir.
QUEMOUL
Ex machina / Hugues de Chanay
POL, 2000, 169 p., 90 F
"Je programme. Ca consiste en ce que je me dis : Je programme. Ou simplement
: Programme ! Et j'ajoute pour spécifier : scénario Forêt
1181. Je suis à commande vocale mentale, c'est à dire
silencieuse. Je réagis exclusivement à mon propre spectre,
que je m'envoie sous la forme d'un sonogramme. Ca suffit pour tout enclencher".
Ainsi parle l'androïde sans nom dont nous suivons la pérégrination
sur Terre. Echappé de l'Espace où il s'occupait des bons
plaisirs des puissants, l'androïde débarque sur Terre en se
dématérialisant. Le roman commence par sa rencontre avec
un terrien qu'il va soumettre à son emprise en s'accolant à
lui et en pénétrant au plus profond de son intimité.
D'apparence humaine mais doté de facultés élaborés,
de caméras, d'une "double pensée" et s'alimentant avec l'énergie
des hommes, il nous entraîne dans son univers particulier de machine.
Ici c'est la machine qui parle, tout est analysé, programmé.
Mais attention ici on n'a pas affaire à un Robocop ou autre Terminator
: point de scènes d'actions explosives, d'aspects mécaniques
ou informatiques de la machine (pas de boulons, de plaques de métal,
de super-ordinateur) mais on a affaire à un androïde tout en
finesse, en calculs, en prévisions, rendus par les mots employés
et l'univers (onirique ?) décrit. L'auteur nous montre le mode de
pensée de l'androïde et particulièrement la relation
entre un humain et un androïde. Encore que sous l'humain peut se cacher
une machine, un rat être un dangereux espion dont il s'agira de débusquer
la micropuce espionne (chaud chaud l'épisode avec le rat et le flic).
Un récit donc très particulier que l'on savoure tout en se
demandant si finalement tout cela n'était pas un rêve.
L'OS