Du sel plein les yeux / Del Pappas
Ed. Jigal, 2000, 221 p., 80 F
Del
Pappas : ce nom ne vous dit sûrement pas grand chose mais cela ne
saurait tarder. Car Gilles Del Pappas est un auteur qui "monte". Né
en 1949 à Marseille Del Pappas s'est mis à l'écriture
sur le tard mais il est prolifique : Du sel plein les yeux
est 7e roman depuis Le baiser du congre sorti en 1998. Avec le "petit"
dernier, on suit les aventures de Constantin dit "Le Grec", marseillais
bien sûr, à la fin des années 60. Constantin rentre
à Marseille après avoir pas mal baroudé comme photographe
et il cherche un coin peinard dans sa ville natale. Cependant, à
peine débarqué de la gare, il lui arrive une aventure singulière.
Il s'engeule avec le conducteur du taxi qui l'emmenait en ville. Il arrive
à lui piquer sa voiture, ultime provocation pour le conducteur et
qui réclame vengeance . Bref les ennuis commencent. Il retrouve
certaines personnes qu'il connaissait notamment une ancienne petite amie,
Sylvie, une jolie rouquine, dont il retombe follement amoureux. Manque
de bol la rouquine se fait enlever et Constantin se fait agresser par une
femme masquée qui a l'air de tenir particulièrement à
Sylvie. Heureusement Le Grec connaît un copain qui est devenu taximan.
Sûrement qu'il va pouvoir l'aider lui.
Constantin est ce que l'on appelle un héros récurrent,
c'est à dire qui apparaît dans plusieurs livres tout comme
les fameuses recettes de cuisine données à la fin ou le glossaire
pour s'y retrouver avec tous ces mots marseillais ! Car Del Pappas il ne
faut pas l'oublier est né à Marseille. On peut dire que l'on
a un roman "typical marseillais" grâce au vocabulaire, aux recettes
de cuisine (du sud) et au paysage qui est décrit. Après avoir
lu un tel livre on meurt d'envie d'aller voir ce qui se passe dans cette
ville. Mais ce qui attire dans Du sel plein les yeux, c'est le héros
et ce qui lui arrive. Une des scènes qui m'a le plus plu est le
moment où Constantin va dans un restaurant populaire et où
il redécouvre l'ambiance marseillaise, une certaine ambiance. Je
ne vous en dit pas plus mais en tout cas le magazine Lire (juin 2000) résume
bien l'oeuvre de Del Pappas, "une littérature policière sensuelle,
où l'on mange et où l'on transpire dans la moiteur marine
et les parfums lourds des villes écrasées par le soleil".
Bien dit non ?
L'OS
Le soleil des morts / Bernard
Clavel
Presses Pocket, 1999, 638 p., 42
F
C’est l’histoire de Charles Lambert.
C’est l’histoire d’une enfance miséreuse, d’une grand-mère
qui seule doit élever son petit fils. Tout au cours du roman, c’est
la vie de Charles que nous verrons défiler.
Un Charles qui doit encore et toujours affronter sa Vie.
A chacun sa route … des routes sillonnants l’Histoire aussi grave fut-elle.
C’est ainsi qu’au fils d’une certaine éducation, qu’au fils d’un
mythe concernant son grand-père … Charles, un jour, s’engage dans
l’armée … comme cela.
Sa première guerre est celle de 14-18 … il est dur avec les
hommes qu’il commande mais il est toujours à leur côté
dans les pires moments … c’est le seul gradé à vivre continuellement
dans la crasse des soldats … et pour lui, sauver leurs vies est la seule
issue du combat …
Ensuite, c’est le retour au calme dans son village natal. Mais la vie
continue et par cela même : l’histoire de sa vie, où le repos
n’existe pas.
Ce roman est très intéressant, car nous suivons cet homme
durant 50 ans … tout est là : joie, tristesse ; amour, amitié,
guerre, délivrance, mort …
Charles Lambert est un personnage attachant. C’est un homme qui essaye
au cours de sa vie d’être toujours de plus en plus juste dans ses
choix. C’est comme cela qu’il va contrer l’Histoire … en menant un combat
de Résistance durant la seconde guerre mondiale … selon ses convictions
… dans l’anonymat le plus total.
Un roman, une vie … que l’on parcourt avec un véritable plaisir
… l’histoire d’un homme humble.
NATH
Salade niçoise / Baudoin
L'Association, 1999, 149 F
Une bande dessinée de Baudoin, d'Edmond Baudoin, est toujours
signe d'un agréable moment à passer, à dévorer
ces histoires en noir et blancs au crayon incisif. Salade niçoise
ne manque pas à la règle. Cette BD réunit plusieurs
histoires publiées initialement pour un journal japonais, des histoires
avec pour décor Nice et ses habitants. Des histoires simples, poétiques,
amoureuses et tragiques, amoureuses et optimistes, des tranches de vies
où l'on retrouve souvent Manu, un jeune garçon énigmatique
et attirant les filles. Une de ces histoires comme Coco beach où
une vieille chanteuse venue finir ses jours à Nice tente de se suicider
sur le bord de mer (suite à la mort de son chat, ultime compagnon)
et qui n'accomplira pas son geste désespéré en entendant
Manu chanter une de ses vieilles chansons. Le tout donc en noir et blanc,
tout en contraste (comme le permet l'usage du noir et du blanc), le sombre
des visages et des expressions, le clair et l'éblouissant d'autres
de ces visages : un vrai délice.
L'OS
Piero / Baudoin
Ed. du Seuil, 1999, 123 p., 59 F
« On ne savait pas encore qu’on dessinait mieux que les autres
enfants de notre âge. On ne les connaissait pas, on était
toujours les deux ensemble ».
Cette BD n’est autre que l’enfance et l’adolescence de l’auteur où
l’on voit les liens qu’il existe entre lui et son frère Piero.
Leur enfance est indissociable avec leur passion : le dessin.
Toujours avec un carnet, voilà comment ils transposaient leurs
rêves, leurs jeux, le temps, la nature, leurs observations … la Vie.
Nous voilà, donc, dans une ambiance de mômes avec les
réflexions que cela entraîne … « Serais-je devenu un
cheval, si j’avais eu la force physique et morale de continuer ? »
Tout cela plonge le lecteur dans l’univers émotionnel de Baudoin
et l’on comprend mieux son chemin. Nous voyons qu’il a été
continuellement en recherche de son art : « Je recopiais les photos
en simplifiant de plus en plus les taches pour voir à quels moments
mes gribouillis noirs n’étaient plus que des gribouillis ».
Une enfance, une adolescence … une vie, des valeurs qui s’affichent
: « combien de temps pouvions-nous rester hors de l’oxygène
des amis ? ». Un art qui s’affirme, des réflexions essentielles
: « A quel moment des traits, des taches, des hachures ne sont plus
de l’herbe, des pierres, un arbre, des branches … Et pourquoi trop s’appliquer
c’est tuer la vie ? ».
Cette BD est une superbe poésie … le lecteur ressent une certaine
nostalgie en se laissant entraîner par le récit. Le rêve,
la joie de vivre sont omniprésents.
C’est hallucinant de vivre la transformation artistique du dessin …
une succession de coups de crayon en noir et blanc qui montre la recherche,
la passion …
Cette BD autobiographique est très émouvante et nous ne
pouvons qu’être comblés car le dessin n’est pas simplement
là … il vit devant nous.
QUEMOUL
Le Décaméron / Vincent
Vanoli
Ego comme X, 92 p., 89 F
Au Moyen-Age, la peste sévit à Florence. Une compagnie
de gens se réfugie au domaine de Maître de Fiesole, loin de
l’épidémie, loin de l’enfer.
Un accord va alors être passé entre un moine du domaine
et la compagnie : « quand chaque jour aura atteint son heure la plus
chaude pourquoi ne pas nous réunir afin que chacun d’entre nous
en profite pour conter une histoire et charmer de la sorte toute notre
assemblée ».
Nous voilà donc embarqué dans différents récits
…
Nous écouterons l’histoire de Ciapeletto, le pire scélérat
que la terre ait jamais porté … notaire de son état … il
va mourir … il demande un prêtre pour une ultime confession … le
résultat sera des plus étonnant.
Ou alors, voilà le cas d’un vilain fort riche qui ressuscita
après sa mort. Et nous apprendrons avec un certain cynisme complice
que les hommes d’église ne sont pas vertueux … et que la réalité
n’est sauvée que par le burlesque.
Ou encore, voilà le rêve de Masetto où ce dernier
va satisfaire ses fantasmes et ceux des Nonnettes … la vision va être
très intéressante … nonnes enceintes, verges à tout
vent …
ETC … ETC…
Cette bande dessinée est hallucinante … Vanoli est au sommet
de son art.
Le noir et blanc est maîtrisé … le sombre se conjugue
à merveille. L’harmonie des tailles des planches donne à
la BD un esthétisme subjuguant.
Les personnages sont bizarres … allant d’une tête à quatre
yeux à d’autres têtes déformées aux expressions
accablantes de réalisme.
Tout vit dans un trouble de traits … tout est un univers réel
…
Cette bande dessinée ressemble à une gravure médiévale,
ce qui accentue encore plus son charme.
Le Décaméron donne à la bande dessinée
une référence admirable.
QUEMOUL.
Les onze mille verges ou les amours
d'un hospodar / Guillaume Apollinaire
Ed. J'ai Lu, 2000, 126 p., 15 F
Bigre
! Un roman érotique de Guillaume Apollinaire ! Et oui, Apollinaire
n'était pas que poète mais aussi romancier. Drôle de
roman que ces Onze mille verges, un roman dont on parle peu et qui
fut pendant longtemps considéré comme scandaleux. Publié
en 1907, ce roman raconte le périple et les aventures amoureuses
de Mony Vibescu, hospodar (sorte de sous-préfet, titre hérité
de son aïeul) et roumain. L'action commence à Bucarest où
le prince se rend chez le vice-consul de Serbie pour une partouze. Mais
cette fois-ci Mony, qui en a marre d'être enculé par le vice-consul
et qui rêve de Paris, fait ses bagages et part à la rencontre
des jolies femmes à la cuisse légère. Là-bas
il fait la rencontre d'Alexine et Culculine. Bien sûr tout cela finit
en diverses pénétrations et autres pratiques sexuelles. Un
jour qu'ils s'adonnaient à leurs pratiques, deux cambrioleurs (La
Chaloupe et Cornaboeux) s'introduisent dans l'appartement. La chaloupe
est tué, nos trois compères blessés et amochés
après diverses pratiques perverses. Peu après Mony retrouve
Cornaboeux et en échange de sa liberté en fait son valet
de chambre. Il est rappelé quelques temps après à
Bucarest pour toucher un héritage. Lui et Cornaboeux seront ensuite
appelés en Russie pour guerroyer contre les Chinois. La fin est
"tragique".
En tout cas ce périple est parsemé de nombreuses "compositions"
qui ne vont pas avec le dos de la cuillère : flagellations, meurtres,
vampirisime, pédérastie, scatomanie... mais sans vulgarité
(je ne vous en dit pas plus). Outre l'érotisme ce roman possède
une trame historique (personnages, épisode de la guerre...), l'humour
surgit dans certains passages et quelques poèmes complètent
le tout. On en ressort pas mal ébahi, beaucoup échauffé.
Certaines scènes sont vraiment terribles et sont donc déconseillées
aux "personnes sensibles". En tout cas la morale est sauve ; après
un tel débordement tout cela ne pouvait que mal finir. Lisez et
vous verrez. Décapant.
L'OS
Travailleurs de la nuit / Alexandre
Jacob
L'Insomniaque, 1999, 157 p., 30
F
Alexandre
Jacob, gentleman cambrioleur (1879-1954), qui aurait inspiré à
Maurice Leblanc le personnage d'Arsène Lupin, était
un fervent adepte de la reprise individuelle, c'est à dire du vol.
Mais un vol utile, le vol des riches, de ceux qui s'accaparent toutes les
richesses sans en avoir produit le fruit. Des vols qui constituaient une
attaque contre les puissants et non une recherche de la richesse (contrairement
au voleur qui ne cherche qu'à s'enrichir) . Car la société
ne lui "accordait que trois moyens d'existence : le travail, la mendicité,
le vol." Or le travail est une prostitution, la mendicité un avillissement.
Reste le vol et la fameuse phrase de Jacob : "le droit de vivre ne se mendie
pas, il se prend". Auteur avec d'autres personnes de plus de 150 cambriolages,
Alexandre Jacob est arrêté après une expédition
qui finit mal. Expédition qui est narrée ici dans les Souvenirs
d'un révolté. C'est l'occasion pour Alexandre Jacob d'expliquer
son action, le but de ces vols, d'une manière très explicative
voire rhétorique. Ce texte est précédé de la
déclaration de Jacob lors du procès de la bande, intitulée
Pourquoi
j'ai cambriolé.
Un livre intéressant, loin des idées reçues, montrant
une certaine forme d'anarchisme dans cette reprise individuelle. Un texte
et une personne à découvrir.
L'OS