Les
quatre fleuves /
Fred Vargas et Baudoin
Viviane Hamy, 2000 (Collection chemins
nocturnes), 224 p., 149 F
Une bande dessinée de Baudoin et un scénario de Fred Vargas,
le résultat ne peut qu'être à la hauteur de nos attentes.
Si vous avez déjà lu un bouquin de Vargas vous retrouverez
avec plaisir le commissaire atypique Adamsberg et une intrigue du tonnerre.
Le dessin de Baudoin compose merveilleusement avec le texte, le dessin
laissant la place au texte pour ensuite laisser la place aux planches.
Un mélange qui se marie sans problème.
L'histoire commence assez banalement : deux jeunes (Grégoire
Braban et son pote Vincent) pratiquent le vol à la tire ou à
l'arraché si vous préférez. Un soir ils s'en prennent
à un vieux et ils leur pique sa sacoche. Pour une fois ils ont touché
le gros lot : 30 000 balles. Manque de bol la sacoche contient d'autres
"trucs" pas jojos du tout ce qui fait dire à Vincent : "le sac du
vieux, c'est la boîte de Pandore". Je ne vous dirais pas ce qu'ils
ont trouvé dedans mais sachez que Vincent ne fait pas long feu :
il est assassiné le soir même avec la cuisse entaillée
par 4 coups de lame. Grégoire, quant à lui, qui habite avec
son présumé père et ses trois frères dans une
maison en banlieue, est à son tour menacé. Mais le commissaire
Adamsberg veille. Ce qui l'inquiète ce sont les entailles sur Vincent.
Cela lui rappelle d'autres morts qui portaient ces entailles, qui représentent
en fait un bélier et qui ont fait surnommé le tueur Le Bélier.
Aurait-il commis un nouveau crime ?
Voilà c'est parti et vous ne pourrez pas vous arrêter
avant la fin.
L'OS
L'épopée du buveur
d'eau / John Irving
Ed. du Seuil (collection Points),
1995 , 440 p., 52 F
C’est l’histoire de Bogus (bidon), encore surnommé Boggle (patauger)
ou encore Trumper (trompeur).
C’est l’histoire de ce jeune homme, sa vie actuelle, sa vie passée
…
Sa vie avec Biggie, son ex-femme et de leur fils Colm. Une rétrospective
de leur échec.
Sa vie avec Tulpen, sa compagne actuelle … leur ondulation entre le
bonheur et le je ne sais pas trop quoi, leurs poissons, leurs tortues …
Sa vie avec ses potes : Merrill : le diabétique ; Ralph Packer
: producteur Avant-gardiste, qui fera un film sur Bogus, dont le titre
sera « Le Baiseur » ; Couth : l’ami fidèle et solitaire
…
Sa vie avec Akthelt et Gunnel : les héros de sa thèse
de nordique primitif. Des héros qui vont se dévoiler dans
le récit, lui donnant du piment, du ressort et qui vont servir de
liens métaphoriques tout au long du roman.
Sa vie avec son pénis : « uriner devient souvent un exploit,
avec des sensations toujours nouvelles et surprenantes » ; «
l’orgasme constitue un véritable suspense ». Au début,
face à cela Bogus choisit la méthode de la solution aqueuse
… c’est à dire boire de l’eau en excès, d’où le titre.
Trumper est un personnage attachant, un disjoncté pas réellement
voulu, un perdant avec de bonnes intentions … il veut s’en sortir ou peut-être
pas vraiment … il farfouille par-ci, par-là … il farfouille, il
survole, c’est pas du tout une épave … c’est simplement Trumper.
Mais lorsqu’il est perturbé dans ses sentiments … il prend la
fuite.
Bogus est « un paranoïaque absolu victime du regard qu’il
porte sur lui-même » et face à cela, seul, il fuit.
« l’Epopée du buveur d’eau » est drôle, c’est
un roman qui part dans tous les sens, une quête dans l’absurde avec
les détails qui apostrophent. Pleurer, rire, aimer, fuir, douter,
revenir … tel est le délire rythmique.
A la lecture d’Irving, il y a toujours des termes qui marquent plus
que d’autres. Par exemple, ici, le dernier mot du livre : " circonspect
" … est d'une telle puissance qu'il peut à lui seul résumer
tout le bouquin. C'est un mot qui interpelle au plus profond des sentiments
créés par la lecture.
Que dire alors de " Vivre avec quelqu’un, c’était un travail
solitaire ".
Voilà, une œuvre d’Irving … les personnages sont attachants,
les mots accrochent, le délire est omniprésent, la vie éclose,
se fane …Un livre que l’on voudrait sans fin … mais de toute façon
il n’y en a pas …
La quête du bonheur est-elle possible ?
Le paranoïaque est-il le seul à ressentir le malaise de
la vie.
MEDITONS …
QUEMOUL
Curieux sentiments : nouvelles
/ Pascale Fonteneau
Ed. Lignes noires, 1999, 141 p.,
65 F
Ce
livre rassemble plusieurs nouvelles de Pascale Fonteneau, auteure d'Etats
de lames ou encore de Confidences sur l'escalier. Des nouvelles
noires bien sûr, qui nous mettent tout de suite dans l'ambiance :
on sait (on sent ?) qu'il va se passer quelque chose de pas bien gai mais
on n'arrive pas à le deviner. Ce qui fait que l'on est plongé
dans le texte et que l'on ne respire qu'une fois la fin d'une nouvelle.
Heureusement que ce n'est pas un roman ! La première nouvelle (Maelbeek)
nous présente un enlèvement pas commes les autres d'une femme
lors d'un week-end à Bruxelles avec son mari et ses enfants. Elle
se retrouve à devoir réciter un texte en flamand pour pouvoir
être libérée. Enfin c'est ce qu'elle raconte mais est-ce
la vérité ? D'autres nouvelles suivent comme celle où
une femme se retrouve coincée dans une cave d'une usine abandonnée,
prise au piège qu'elle avait mis en place et qui finalement se refermera
cruellement sur elle ; comme cet homme qui a une bien curieuse manière
de "pénétrer" une fille (je ne vous en dit pas plus...) ;
comme cet homme à la retraite qui décide de devenir poète
et pilier de la littérature contemporaine et qui pour cela se met
à porter des lunettes, à avoir des poissons rouges et surtout
un bureau en bois de chêne ; comme ce type qui cherche à devenir
un héros quitte à provoquer l'occassion ; comme... etc. Des
nouvelles qui ne manqueront pas de vous laisser de "curieux sentiments"
(un peu facile cette fin je le reconnais mais bon).
L'OS
Les girofliers de Zanzibar / Adam
Shafi Adam
Le serpent à plumes, 2000
(collection motifs), 234 p., 43 F
Publié
initialement en 1978 ce roman "met en scène" la révolution
qui s'est déroulée sur l'île de Zanzibar (rattachée
à la Tanzanie) en janvier 1964 et qui a abouti à la
fin du sultanat féodal de Zanzibar. A cette époque l'esclavage
était encore une pratique courante dans l'île. Kijakazi, jeune
orpheline née de parents esclaves, est au service du seigneur Malik
et de sa femme, propriétaires d'une plantation de girofliers (les
clous de girofles vous connaissez !). Comme les autres esclaves, Kijakazi
travaille dur du matin au soir sous les brimades du seigneur Malik et de
sa femme. Le seigneur Malik et sa femme finissent par mourir et leur fils
unique, Fouad, prend la succession du domaine. Pour Kijakazi et les autres
l'enfer continue et de plus bel, le seigneur Fouad imposant ses quatre
volontés. Pour Kijakazi cet état de fait est normal et son
devoir est de servir jusqu'à la mort son seigneur. Mais tout le
monde ne l'entend pas de cette manière et certains esclaves de la
plantation en viennent à se rebeller tout comme d'autres personnes
dans l'île. En janvier 1964 le sultan et ses accolytes qui dirigeaient
l'île sont renversés et une république populaire est
mise en place qui ordonne la collectivisation des terres (ce qui s'est
passé dans la réalité).
Plutôt que de nous avoir relaté (comme un historien le
ferait ) les événements qui ont abouti à la révolution
et les changements apportés, Adam Shafi Adam nous présente
une histoire très personnelle, aux allures de conte de fée
avec en toile de fond la révolution. Une révolution qui va
permettre aux esclaves de s'affranchir de leurs maîtres. Mais comme
tout changement, il demande une "modification" de sa façon de penser,
de ses habitudes de vie. On le voit bien avec Kijakazi, habituée
à servir et à obéir et qui peine à croire que
l'on peut être autre chose qu'un esclave. Il lui faudra longtemps
avant de pouvoir se libérer de son joug, de cet état de fait
(être esclave) et ainsi se réapproprier son corps et sa vie
! L'histoire se termine évidemment bien. Un bien joli récit
je vous dit.
L'OS
Halloween / Boiscommun
Ed. Le cycliste, 2000, 48 p., 69
F
C’est une fable … pas de Noël mais d’Halloween.
Asphodele, une jeune fille déguisée en squelette, participe
à la fête … elle ne s’amuse pas … son frère est mort.
Ce dernier va réapparaître en être de peintures
…
Alors la fable sur la mort devient la fable de la vie.
Dans cette BD, l’histoire est vraiment prenante.
Le mort a pour mission de redonner le rire à la jeune fille
… il va lui offrir le chemin du rêve … pour accepter la mort comme
la vie.
« Le rêve remplace les mots en bien des occasions, pour
qui n’est pas trop sot, il est un compagnon ».
Les dessins sont magnifiques … chaque planche est pour moi un tableau.
Les planches qui prennent toute la page sont d’une poésie.
Le tout baignant dans une ambiance floue …
L’univers de Boiscommun est surprenant, son rapport avec la lune est
émouvant … c’est un univers pastel …
Un univers qui me transporte dans le monde de l’enfance avec une philosophie
accomplie.
QUEMOUL
Un peu plus loin sur la droite
/ Fred Vargas
Ed. J'ai Lu, 2000, 253 p., 35 F
Quand vous aurez fini Les Quatre fleuves (voir critique plus
haut) vous pourrez sans hésitation vous attaquer à ce bouquin
de Vargas qui vient de sortir en format de poche. Un vrai régal.
Tout commence avec la découverte d'un bout d'os humain dans un merde
de chien par Louis Kehlweiler, un ancien du ministère de l'Intérieur
qui bosse mainteant à son compte. Bénéficiant d'"agents
de renseignements" et d'appuis dus à son ancienne position sociale,
Kehlweiler continue son ancien boulot. Pour lui ce bout d'os est le "résultat"
d'un assassinat et il entend bien dénicher le reste du corps et
l'assassin. Avant de se lancer dans l'aventure, il va montrer sa découverte
au commissariat du 5e arrondissement (un pur moment de jubilation à
lire). Le commissaire ne croie pas à son histoire et Kehlweiler
a maintenant carte blanche pour son enquête. Accompagné par
Buffo, son crapaud famillier, il sera notamment aidé par Marc Vandoosler
(voir le livre Debout les morts), historien spécialiste du
Moyen-Age et bon grimpeur. Leur "quête" les entraînera à
Port-Nicolas, un trou perdu en Bretagne, à la recherche du fameux
chien mangeur d'os et de l'assassin.
Comme pour Debout les morts, on en arrive à soupconner
toutes les personnes possibles et imaginables et ce n'est qu'à la
dernière ligne (j'exagère un peu) que l'on découvre
le coupable et que l' on tombe des nues. Vargas a ce "don" de brouiller
les pistes, de nous obliger à remettre en question nos certitudes
et notre raisonnement. De plus l' aspect minitieux et archéologique
de l'enquête menée (on part d'un morceau d'os, d'un déchet
!), forcément humoristique et décalée, les personnages
et leurs caractères, les situations à quiproquo et / ou farfelues
; tout cela fait de ce roman un "grand roman", un très bon polar
donc.
L'OS
Dans le cochon tout est bon (une
aventure de Philibert) / Mazan
Delcourt, 2000, 56 p., 78F
C’est l’histoire de Philibert, médecin légiste qui rencontre
une ancienne étudiante des beaux-arts. Ils vont vivre une histoire
d ‘amour.
Mais tout ne s’arrête pas là … bienvenue dans un monde
hallucinant.
Ici, le magasin de pompes funèbres est « fermé
pour cause décès » ; les vaches folles ont des têtes
d’homme ; sur la plage un marchand ambulant vend de la viande hachée
comme si c’était des glaces ou friandises …
Ici, la nourriture est suspecte, la vie sociale est bizarre, l’urbanisme,
la pollution sont déplorables, la mer -où nos héros
se rencontrent en vacances- est une poubelle : « La plage de charançon
les pins est une charmante cocotte-minute où l’on peut bronzer à
l’aise. Le temps est couvert mais chaud, les pluies acides sont revigorantes
et la mer est verte et tiède, comme un bon bouillon. »
Ici, les gens sont tous plus ou moins disjonctés. Et ils sont
tous plus ou moins obèses.
Nos deux héros sont, eux aussi, physiquement marqués.
Lui, il est grand, sec, avec une énorme houppette rousse …il
a vraiment une tronche sympathique.
Elle, Léa, elle est grande, rousse … toute maigre …
Léa subie tout cet univers social, écologique (…) … elle
suit une thérapie … elle est Anorexique … elle veut maigrir … maigrir
… elle a une baignoire dans le salon … la phobie des insectes … elle porte
des gants jetables pour faire les courses … elle bloque sur la fermeture
des portes, des robinets … sa vie est emprisonnée dans ses troubles
obsessionnels comportementaux …
Les dessins sont très vivants, les personnages en sont ainsi
plus captivants …Les couleurs sont vraiment parlantes par leurs qualités.
Dans le cochon tout est bon est une bd cynique sur notre société
présente et futur … le tout baignant dans une ambiance légère.
QUEMOUL